Les chrétiens dans le brouillard en Syrie

Le nouveau président syrien Ahmed al-Charaa / © www.aa.com.tr

Le nouveau président syrien Ahmed al-Charaa multiplie les déclarations rassurantes après sa prise de pouvoir officielle, le 29 janvier 2025. Interrogé sur l’instauration de la charia dans le pays, il déclarait le 31 janvier : « C'est aux experts de décider. S'ils l'approuvent, mon rôle est de l'appliquer ; et s'ils ne l'approuvent pas, mon rôle est d'appliquer leur décision également. » Concernant le voile, il assurait que le port du voile ou du hijab relevait de la « liberté individuelle de chaque être humain ».

Ahmed al-Charaa a radicalement changé de visage. Il y a une décennie, il portait le nom de guerre « Abou Mohammed Al Joulani » et incarnait l’opposition djihadiste au gouvernement de Bashar Al Assad. En 2011, il avait en particulier fondé le Front Al-Nosra, redouté des minorités religieuses, au point que les chrétiens syriens le craignaient plus encore que Daech. Réfugié dans la poche d’Idlib, le chef rebelle avait administré la zone avec le nouveau groupement Hayat Tahrir al-Cham (HTC). À partir de 2018, il encouragea les divers mouvement rebelles à cesser leurs guerres intestines pour concentrer leurs efforts contre le gouvernement syrien. Abandonnant progressivement le djihadisme international, il a fini par le renier complément, estimant que c’était un projet insensé, qui ne pouvait pas réussir, selon Wassim Nasr, journaliste à France 24, qui l’avait interrogé.

Malgré son passé de djihadiste, le nouveau maître de la Syrie tente manifestement de convaincre qu’il incarne un gouvernement ouvert et modéré, très différent de celui qui a été mis en place dans les zones qui sont tombées sous la coupe des rebelles durant la guerre civile. Chez les minorités religieuses, ce changement d’attitude inspire naturellement une grande circonspection.

Ainsi, un médecin chrétien confie depuis Alep : « Les nouveaux dirigeants ont annoncé un gouvernement de transition. Ils mettent un peu d’ordre et donnent une base légale à ce qu’ils font. Mais nous ne savons pas si les diverses communautés religieuses seront représentées. »

Il note aussi que si à Damas, sous le feu des projecteurs médiatiques, le gouvernement actuel assure la sécurité, il n’en va pas de même dans d’autres parties du pays. Des miliciens exigent que les femmes portent le voile dans certaines régions du pays. D’autres ont fait irruption dans une école chrétienne pour imposer que les filles et les garçons soient séparés dans les classes. Par ailleurs, les milices commencent à être désarmées, en particulier les chrétiennes et les alaouites, mais pas les sunnites, ce qui suscite une grande inquiétude pour l’avenir. Enfin, ce témoin fait état de rumeurs de massacres d’alaouites. Il conclut : « Ceux qui ont pris le pouvoir sont des islamistes. Ils ont combattu Assad 14 ans. Je ne les imagine pas devenir des démocrates. Ils ne perdront pas le crédit de toutes ces années de sacrifices pour se faire démocrates. »

Mgr Jacques Mourad, archevêque syriaque catholique de Homs, témoigne de son côté que, loin de Damas, « des personnes disparaissent, les prisons se remplissent, et là on ne sait plus qui est encore en vie ou qui est mort. » Il n’attribue pas ces disparitions au gouvernement provisoire, mais à l’anarchie qui sévit dans son diocèse. Des groupes armés différents, dont certains sont fanatiques, imposent leurs lois sur les territoires qu’ils contrôlent.

L’archevêque ajoute qu’il a recensés « plusieurs cas de jeunes chrétiens menacés et torturés dans la rue, devant tout le monde, pour semer la terreur et les forcer à abjurer leur foi et à devenir musulmans. » Devant cette situation alarmante, les prêches sur l’espérance ne suffisent plus regrette-t-il : « Nous essayons, mais les gens ne nous croient pas. Ce qu'ils vivent et ce qu'ils voient est trop différent. »

(Sources : Fides 31/1/2025 ; RFI 8/12/2024 ; Aide à l’Église en Détresse 10/2/2025)