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Si Dieu est bon, pourquoi la souffrance ?

Prêtre missionnaire du diocèse de Montpellier, le père René-Luc est l’auteur de deux ouvrages : Dieu en plein coeur : né de père inconnu, élevé par un truand (éd. Presses de la Renaissance, 2008) et 15 paraboles tournées vers l’essentiel (éd. Plon, 2018). Voici un extrait de ce dernier livre, recueil d’enseignements illustrés par des histoires de la vie quotidienne.

© CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

En novembre 1979, j’ai treize ans quand mon beau-père gangster se suicide devant moi avec son révolver d’une balle en plein coeur. Le lendemain, je suis abattu. Je me plains à ma mère : « Maman, tu ne trouves pas que ça fait beaucoup, tout ce qui nous est arrivé ? Toutes nos galères depuis l’enfance, mon père que je n’ai jamais connu, et maintenant le suicide de Martial, ça fait beaucoup, non ? »

Ma mère me fixe droit dans les yeux et me répond : « Tu trouves que ça fait beaucoup ? Pense à ces enfants pendant la guerre du Vietnam qui ont vu toute leur famille détruite sous les bombes, qui se sont retrouvés seuls, sans personne… Qu’est-ce que tu as vécu à côté d’eux ? »

Sa réponse me laisse sans voix. La photo bien connue de cette petite fille nue courant dans le décor apocalyptique des bombes au Vietnam s’impose alors à mon esprit. Pauvre enfant ! Oui, c’est vrai, je n’ai pas le droit de me plaindre ! Il faut que je serre les dents, que je continue à vivre, que j’assume ma destinée.

 

UNE SOUFFRANCE INÉVITABLE

Quelques mois plus tard, je fais une expérience spirituelle très forte et je commence une relation personnelle avec le Christ. Ma vie change radicalement et je ne souffre plus comme avant, même si la souffrance reste bien présente dans ma vie. On ne peut pas avoir vécu ce que j’ai vécu sans qu’il y ait des répercussions pendant toute une vie, sur le plan personnel et familial.

Il y a aussi les souffrances physiques, celles qui sont normales et dues à l’usure de nos corps, mais aussi celles liées à des accidents de la vie, comme mon grave accident de moto en 2012 qui se rappelle à moi en permanence, ayant un bassin déplacé et un nerf pincé sur toute la jambe gauche.

Et puis, il y a ces souffrances particulières vécues par ceux qui se donnent à la mission, et qu’on pourrait appeler les « souffrances apostoliques », celles liées notamment à un apostolat médiatisé : la jalousie, l’incompréhension, la critique, etc.

Oui, c’est paradoxal, mais la souffrance est pour beaucoup un chemin d’union à Dieu. La souffrance, unie à la Passion du Christ, est comme un creuset, elle creuse en nous une plus grande capacité d’aimer. Elle relativise ce qui est secondaire, nous ramène à l’essentiel et, de ce mal, Dieu peut en tirer un bien car « toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rm 8,28). Personne n’est épargné par la souffrance. Vous comme moi, nous avons tous souffert. Certains souffrent plus que d’autres, la souffrance prend une telle place dans leur vie qu’il est légitime de se demander : « Mais si Dieu est bon, pourquoi ne supprime-t-il pas la souffrance ? » Je vais tenter de vous répondre par la parabole du radiateur.

 

DIEU PRÉVIENT L’HOMME

Imaginez un père avec un fils de quinze ans en pleine crise d’adolescence. Ce fils fréquente un groupe de punks, il rentre régulièrement chez lui complètement défoncé par la drogue et l’alcool. Le père essaye de raisonner son fils, il lui parle beaucoup, fait tout son possible pour dissuader son fils de fréquenter de tels individus, mais son fils ne l’écoute pas et plonge de plus en plus dans cette descente aux enfers.

Par analogie, Dieu est un Père pour tous les hommes et il ne cesse de leur parler par sa Parole et par ses apôtres pour chaque génération. Si les hommes ne l’écoutent pas, s’ils se détournent du bien et se tournent vers le mal, ils sont confrontés à une cascade de souffrances. Comme ce jeune fils, ils ne se rendent pas toujours compte des conséquences de leurs choix. Ils sont convaincus que ce qui est le plus important, c’est de faire ce qu’ils veulent.

 

DIEU PEUT-IL NOUS ENFERMER À CLÉ ?

Alors, ne sachant plus que faire, son père prend les grands moyens : il enferme son fils dans sa chambre. Mais aussitôt la nuit tombée, son fils saute par la fenêtre pour rejoindre sa bande. Le lendemain matin, son fils rentre ensanglanté : sous l’effet de la drogue, il s’est mis à pratiquer une danse bien particulière : il s’agit de se frotter à son partenaire avec des lames de rasoir accrochées aux vêtements.

Cette fois, c’est trop. Le père craint pour son fils, ça devient une question de vie ou de mort. Puisqu’il ne l’écoute pas, puisqu’il ne reste pas dans sa chambre, il reste une solution : il l’empoigne violemment, le conduit dans sa chambre et l’attache avec des menottes au radiateur. Cette fois, plus moyen de s’échapper !

Son fils se met à hurler en le traitant de tous les noms. Son père lui crie avec autant de force que c’est par amour pour lui qu’il en est réduit à le menotter, il fait ça pour le protéger. Mais évidemment, rien n’y fait, la haine grandit à chaque seconde dans le coeur du fils jusqu’à atteindre un point de non-retour. Et finalement, le père est obligé d’admettre que ce n’est pas la solution, il ne peut pas enfermer son fils, il n’a pas le choix, il doit le laisser libre, même si cette liberté lui coûtera sa vie.

 

L’HOMME EST LIBRE

Il en est de même avec Dieu. Il ne peut en aucun cas nous obliger à l’écouter, à lui obéir. L’homme est libre, et cela fait bien longtemps qu’il a décidé de ne plus écouter la voix de Dieu. Quelle est la réponse de Dieu face à cet endurcissement de l’homme ? C’est de le laisser libre. Dieu n’a pas le choix, car il est Amour et l’amour implique la liberté. Dieu aurait très bien pu créer un monde sans souffrance, sans péché. Mais alors, ce serait un Dieu dictateur : nous serions obligés de faire le bien ! Notre « Dieu tout-puissant », notre « Dieu des armées » est un Dieu désarmé par notre liberté. Comme le dit le théologien orthodoxe Paul Evdokimov, « Dieu est faible, parce qu’il a un faible pour l’homme ».

C’est de ce mauvais usage de la liberté que provient une grande partie des souffrances de notre monde. Imaginons toute une civilisation qui se mette vraiment à l’écoute de l’Évangile et renonce à ce qui conduit au mal : plus de vols, plus de mensonge, plus de violence, plus de guerre, plus d’argent roi. Imaginons une civilisation qui développe au contraire les valeurs de solidarité, de service du prochain, de pardon, de partage, de bienveillance, d’humilité. Même les maladies diminueraient, car beaucoup de problèmes de santé proviennent de la « malbouffe », un effet pervers de la société de consommation.

Il est difficile d’évaluer le recul que ferait la souffrance dans une telle civilisation, mais on pourrait estimer de façon toute subjective que 80 % de la souffrance disparaîtrait. Il resterait bien entendu les 20 % qui ne dépendent pas des bons ou mauvais choix des hommes, comme le mal provoqué par les catastrophes naturelles, les tsunamis, les tremblements de terre, etc. Bien que là encore, certaines de ces catastrophes sont sans doute accentuées par le dysfonctionnement climatique provoqué par les hommes.

 

JÉSUS, COMPAGNON DE NOS SOUFFRANCES

Quelle est donc la réponse de Dieu face à la souffrance ? Sa réponse, c’est le Christ qui a pris sur lui le poids de la souffrance et de la mort. Jésus a souffert en pardonnant et en aimant. Depuis lors, la souffrance a changé de visage. Il est toujours terriblement difficile de souffrir, mais la souffrance, si elle est vécue dans la prière avec le soutien de nos frères, peut devenir une incroyable école d’amour. Comme le dit si bien Paul Claudel, « Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance, il n’est même pas venu l’expliquer, mais il est venu la remplir de sa présence1»

Ce serait une erreur de penser qu’il suffit de croire en Jésus pour avoir une vie de bonheur sans épreuves. Il est vrai que le psaume 23 nous dresse un tableau idéal de l’homme qui met sa foi en Dieu : « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien, sur des prés d’herbe fraîche il me fait reposer, il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre. » Le croyant semble être à l’abri de tout malheur, sa vie se déroule dans le meilleur des mondes, telle la Petite Maison dans la prairie. Mais un peu plus loin, le psaume 23 continue ainsi : « Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi : ton bâton me guide et me rassure. »

Le Christ est descendu dans le ravin de la souffrance, il connaît le chemin. Lorsque nous descendons dans l’épreuve, il nous tend la main. Nous pouvons la saisir , afin qu’il nous aide à la traverser comme lui-même l’a fait avant nous. Le chrétien n’est donc pas à l’abri de la souffrance, les martyres récents nous font même dire « bien au contraire ». Mais il peut toujours saisir la main de Jésus et souffrir avec ce soutien particulier, cette espérance que donne la victoire du Christ sur la souffrance et la mort.

Choisissons de souffrir le moins possible en nous mettant à l’écoute de la Parole de Dieu, en suivant ses commandements dans notre vie et dans notre société. Et si nous sommes quand même confrontés à la souffrance, vivons main dans la main avec Jésus en essayant d’aimer malgré tout.

 

1. Paul Claudel, Dialogues avec la souffrance (collectif), éd. Foi vivante, 1968.

Père René-Luc

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