« Être disciple du Christ doit conduire à aimer les pauvres »
Le père Pedro Opeka, fondateur de l’association Akamasoa qui a fêté ses 35 ans en octobre dernier, revient sur 50 ans d’apostolat auprès des nécessiteux à Madagascar.
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Pourquoi avoir choisi de servir les plus pauvres ?
Père Pedro Opeka : Mon père est le seul survivant d'un charnier où 5 000 personnes sont mortes. Avec ma mère, il a alors fui la Slovénie pour l’Argentine. Je suis né dans ce monde nouveau au sein d’une famille très croyante de huit enfants. On vivait sobrement mais dans une grande joie : la foi n’était pas une coutume, c’était notre vie. Très vite, j’ai découvert Jésus, l’ami des pauvres, et j’ai voulu l’imiter. À 17 ans, je suis entré dans la congrégation Saint-Vincent-de-Paul pour devenir missionnaire. C’était trois mois après la fin du concile Vatican II : l’Église devenait la maison de tous, surtout des plus pauvres. Un jour, mon supérieur général m’a proposé une mission à Madagascar et je m’y suis installé définitivement en janvier 1976.
Qu’avez-vous découvert sur place ?
Quand je suis arrivé dans le sud-est du pays, à 800 kilomètres de la capitale, il y avait seulement 10 % de chrétiens et 90 % de non-baptisés. Mais tous croyaient au Dieu créateur. Il y avait une sagesse naturelle extraordinaire. J’ai vu de la pauvreté, mais surtout de la dignité. Les gens souffraient beaucoup, mais ils possédaient une telle force qu’ils étaient pour moi un exemple. J’ai enlevé ma montre et je ne l’ai plus utilisée pendant neuf ans. Sans moyen, sans argent, perdus au fond de la brousse, sans téléphone ni Internet, nous avons réussi à bâtir une communauté magnifique. On était pauvre, mais il y avait une joie immense difficile à dépeindre. Comme disait Maurice Zundel : « Je ne crois pas en Dieu, je le vis. » Quand les habitants voyaient la fraternité, le respect, la proximité, alors, bien sûr, ils demandaient le baptême. En 50 ans à Madagascar, j’ai baptisé des dizaines de milliers de personnes.
Puis un jour, tout a basculé…
Oui ! En 1989, je suis tombé très malade. J’avais dans l’idée de prendre une année sabbatique et de quitter définitivement l’île. Mais Dieu avait un autre plan. Ma communauté m’a demandé de devenir formateur de jeunes prêtres malgaches. Je me suis soigné et j’ai quitté le sud-est pour la capitale Antananarivo. Une semaine plus tard, je suis passé devant une décharge, à 8 kilomètres de la capitale et j’ai vu des centaines d’enfants et d’animaux se battre pour des ordures. Ça m’a fait un électrochoc. Le soir, impossible de dormir : à minuit, je me suis mis à genoux sur mon lit, j’ai levé la main et j’ai dit : « Seigneur, aide-moi à faire quelque chose pour ces enfants. » Je n’avais pas d’argent, je n’étais pas connu mais, le lendemain, je suis allé voir les gens de la décharge avec cette question : « Aimez-vous vos enfants ? » Quelques minutes plus tard, j’étais assis par terre dans un abri de carton et de plastique. Nous avons commencé à établir un plan et c’est comme ça qu’est né le mouvement Akamasoa (« les bons amis » en malgache). Environ 800 familles vivaient autour de la décharge et chacune avait perdu jusqu’à sept enfants ! Le lendemain, j’ai appelé des étudiants du sud-est que je connaissais et une douzaine d’entre eux m’ont suivi.
Votre association humanitaire Akamasoa vient de fêter ses 35 ans. Quel bilan dressez-vous ?
Aujourd’hui, ce sont plus de 900 jeunes malgaches (assistantes sociales, infirmières, éducateurs, etc.) qui animent ce mouvement. Je ne pensais pas qu’un jour 40 000 personnes dépendraient directement de notre travail. Si j’avais su ça au début, j’aurais quitté Madagascar de frayeur (rires) ! Nous avons accueilli tous les exclus pour faire briller en eux cette étincelle divine qui existe dans chaque être humain. Ce sont désormais des personnes dignes. Nous avons 20 843 enfants et jeunes scolarisés, 12 000 d’entre eux mangent chaque jour à la cantine. La première école était sous un arbre ; aujourd’hui, nous avons des bâtiments et accueillons les jeunes de la crèche à l’université ! La divine Providence nous aide chaque semaine, chaque mois, chaque année. Tous les jours, on progresse, on a le courage d’avancer. En 35 ans, jamais nous n’avons refusé l’accueil à une maman car, si Dieu existe, il y a toujours une place pour un pauvre.
Êtes-vous fier de votre parcours ?
Je ne peux pas dire que je suis fier, car la pauvreté est toujours là, mais je remercie Dieu et la Vierge Marie qui nous ont toujours protégés et guidés. Des enfants qui seraient en train de mendier sont à l’école, leurs parents travaillent dans une carrière, un atelier de broderie ou le bâtiment. Avant, il y avait de la violence, des vols, là où aujourd’hui règnent la paix et le respect mutuel. Des enfants sont ressuscités, une petite fille que nous avons aidée est devenue directrice d’un collège, elle est mariée, elle a des enfants. Mais combien sont morts ? J’ai dû enterrer entre 4 000 et 5 000 personnes dans ma vie, dont un quart d’enfants.
Quel conseil donnez-vous à ceux qui se sentent dépourvus devant tant de souffrance ?
Il ne faut jamais désespérer. J’ai commencé sans argent, sans notoriété, avec la seule assurance que Dieu n’abandonne pas ses enfants. Mais Dieu n’a pas de bras, pas de jambes : c’est à nous d’agir. J’habite dans une décharge que nous avons transformée. Je ne possède rien d’autre que la liberté, l’amour, la foi et l’espérance. Tout ce que j’ai m’a été donné pour les pauvres. Rien ne m’appartient, sauf mes vêtements. Mais quand on vit dans cet esprit de pauvreté et de partage, je vous certifie que la vie est beaucoup plus belle et joyeuse.
La prière a-t-elle une place dans votre apostolat ?
Entre 8 000 et 10 000 personnes viennent à la messe chaque dimanche : 75 % sont des enfants et des jeunes. L’espérance est là ! La messe dure trois heures et, quand je vois des Européens rester et me dire qu’ils n’ont pas vu le temps passer, je comprends que nous nous sommes trop habitués à prier dans la tristesse. Ici, les messes sont joyeuses :
le Christ est ressuscité, il n’est plus mort, il est dans notre coeur.
L’Église fait-elle assez dans le domaine de la charité ?
L’Église est le peuple de Dieu uni à Jésus qui avait tant d’amour envers les plus faibles. Être disciple du Christ doit conduire à aimer les pauvres. En Afrique et à Madagascar, l’Église est très présente parmi les nécessiteux. Sans les missionnaires, les prêtres, les pasteurs, les religieuses, le continent serait plus pauvre encore. Il y a six ans, le pape François est venu nous visiter : on s’est embrassé comme deux frères. En une seconde, il a compris que les pauvres ici étaient debout, que les enfants de la rue étaient pleins de joie, que le peuple avait retrouvé sa dignité et sa liberté. Le Pape a encouragé notre travail évangélique et nous a dit : « Que la lumière que j’ai vue ici puisse se propager dans tout Madagascar et au-delà de ses frontières. » La foi et l’amour n’ont pas de frontières. On critique souvent l’Église, mais le Vatican aide les plus pauvres sur tous les continents sans faire de bruit.
De quoi avez-vous besoin aujourd’hui pour continuer votre combat ?
Dans notre association, les gens sont eux-mêmes acteurs de leur avenir et fiers d’être en première ligne. Mais nous avons ici 3 000 ouvriers qui gagnent moins de 2 euros par jour pour 12 heures de travail à la carrière. J’irai jusqu’au bout du monde pour demander justice, car on ne peut pas vivre avec 2 euros par jour : les matériaux et les médicaments sont plus chers qu’en France ! Nous aidons ces personnes et nous les soignons contre quelques centimes, mais nous avons besoin d’argent pour financer cela et le reste.
Environ 100 logements de 60 m² sont construits chaque année pour 8 000 euros chacun. Tous les ans, nous construisons aussi plusieurs écoles, agrandissons les maternités, entretenons les cinq cimetières ; car nous accompagnons les personnes de leur naissance à leur mort. Ce que nous faisons n’est pas un projet, c’est un mouvement de fraternité pour remettre les plus pauvres debout. Jésus a dit : « Lève-toi et marche » (Mt 9,5) ; c’est ce que nous voulons dire à tous les démunis.
Comment voyez-vousl’avenir ?
Je veux lancer un appel aux dirigeants du monde : si vous êtes chrétiens, partagez les richesses ! Nous ne pouvons pas être à moitié chrétiens et à moitié indifférents. Pourquoi inventons-nous tant de choses pour divertir les gens et si peu pour aider les nécessiteux ? Il y a trop de mensonges, d’égoïsme, d’argent jeté, de guerres, de morts… Quel dommage de n’avoir pas de président visionnaire dans le monde ! Aujourd’hui, la terre est un village, il faut que les mentalités changent ! Au dernier G20 au Brésil (en novembre dernier), Lula a demandé une alliance globale contre la faim : c’est capital et urgent ! L’école, les aliments, la santé : tout cela devrait être gratuit pour les enfants. Nous devons tous nous entraider, car nous sommes tous enfants de Dieu.
LE PÈRE PEDRO EN QUELQUES DATES :
6 mars 1966 : entrée au noviciat
1968-1970 : études de philosophie en Slovénie
26 octobre 1970 : première visite à Madagascar
1972-1975 : études de théologie à Paris
28 septembre 1975 : ordination en Argentine
Janvier 1976 : installation à Madagascar
2004 : l’association Akamasoa est reconnue d’utilité publique par l’État
Octobre 2024 : 35 ans de l’association
2025 : 50 ans de prêtrise
Plus d’informations : www.perepedro-akamasoa.net
Pour faire un don : https://perepedro.fr/
Propos recueillis par Marie-Ève Bourgois
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