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Dans le silence des campagnes, Dieu nous parle

Des rêves de chrétienté se sont envolés. Le consumérisme d’une large population adepte de fast food et de fast fashion

étouffe nos aspirations réelles. Mais, au cœur de la ruralité, à l’écoute du silence et de l’Esprit, une vie spirituelle nouvelle est possible.

© Unsplash, Raphael Rychetsky.

Les rythmes de vie déchaînés accaparent notre temps et volent notre silence. Le soir venu, les tâches ménagères, la fatigue, les factures à régler ont eu raison de nos espaces de tranquillité. Certains, très préoccupés par leur travail, le poursuivent furtivement à la maison. Heureux sont celles et ceux qui peuvent prendre des vacances en famille.

 

DES ASPIRATIONS PROFONDES

Si les ruraux ne sont pas à l’abri de ce genre de surmenage, ce sont surtout les urbains qui, pour beaucoup, vivent sous pression professionnelle, enfermés dans des contraintes imposées par la vie. Et voici que, dans ce monde de la post-modernité, des cris montent des profondeurs des corps, « comme l’hirondelle, je crie » (Isaïe, chapitre 38). Et voici que montent, des profondeurs plus grandes encore, des aspirations à goûter la vie. Mais comment faire quand elle se déroule comme « pierre qui roule sans amasser mousse » ? Comment recueillir des sédiments de beauté ? Des bulles d’oxygène invisibles qu’on tenterait de respirer ? Vivant moi-même en pleine campagne, je rencontre des jeunes qui laissent retentir en eux des mots comme « vie spirituelle » ou « méditation », ayant des applications très diverses. Ainsi vient-on de me proposer de participer à la création d’une série de petits films intitulée En quête de spiritualités. L’air des campagnes est porteur !

 

QUITTER POUR RESPIRER

Certains, las des métropoles, ont en effet choisi de tout quitter pour ouvrir les poumons de leur coeur au grand air des campagnes. Justine a quitté sa vie d’ingénieur pour faire une formation de personnels en foyers d’handicapés ; Chantal a troqué ses responsabilités dans le nucléaire pour élever des chèvres ; Michel s’est finalement servi de sa formation d’ingénieur dans l’agro-alimentaire pour faire du maraîchage ; et Claudine, loin de sa formation de professeur de biologie, s’épanouit dans une grande sobriété marquée de petits boulots et de services rendus. Tous ces individus que je côtoie en tant que prêtre de paroisse ne sont pas en fuite, mais en désir de respiration intérieure. L’un d’eux, Pierre, me dit un jour : « Je voudrais avoir une vie pleine, loin des bavardages ! » Tous sont assoiffés de devenir ou de redevenir des vivants, tous sont en quête d’un art de vivre nouveau qui viendrait combler les sensations de vide intérieur. Et quel bonheur quand s’ouvre une invitation à un groupe de parole ! Quelle joie quand une porte amie s’ouvre, quand une communauté chrétienne empreinte d’écoute et de bienveillance se fait proche !

 

UN LIEU DE RESSOURCE POUR UNE OUVERTURE À DIEU

Pour beaucoup, le contact avec la nature devient un lieu de jouvence, le vent dans les arbres, le parfum de la terre après un orage d’été, le chant des oiseaux. Sans doute, cela ne gagne pas le pain ! Une vie de sobriété s’impose parfois à la campagne, avec des revenus modestes issus de l’élevage, de la transformation de produits fermiers, de la vente en circuits courts, du travail à distance, de l’animation dans un centre de loisirs. Comme me disait Gégé il n’y a pas si longtemps : « L’écologie, l’environnement de qualité, c’est merveilleux… Le prix à payer, c’est une vie sobre, avec des manques, mais une plénitude s’en dégage qui fait mon bonheur. » Cette vie conduit à des expressions communautaires, tels que des rituels, des échanges, des rencontres où la symbolique exprime souvent ce que les mots ne peuvent dire. Elles ouvrent le coeur comme l’horizon attire le marcheur et représentent une ouverture à une altérité que les chrétiens appellent Dieu et à un Chemin qui est le Christ. C’est cette altérité et ce Chemin qui font éclater les questions de morale pour ouvrir une voie de disponibilité au message de l’Évangile et à une présence, celle du Christ vivant. Des petits groupes naissent ici et là pour entendre le murmure de ce message, la Bonne Nouvelle pacifiante en raison de la bonté offerte de manière inconditionnelle. Merveille à offrir aux chercheurs de sens où brillent déjà des étincelles de l’Esprit, c’est-à-dire de Dieu. Car l’Esprit est donné au monde. Et c’est au coeur de laisser une petite ouverture pour qu’il s’y pose.

 

LA JOIE D’ÊTRE… GUETTEUR DE L’ESPRIT

Une vision s’impose pour moi qui suis chrétien. C’est celle du guetteur à l’affût de l’oeuvre de l’Esprit dans les rencontres que je fais, quelles que soient les appartenances des uns et des autres. C’est ma nourriture quotidienne que j’essaie de goûter et de raconter dans mon « cahier de vie ». Trop de chrétiens se contentent d’émotions religieuses, toutes sans doute édifiantes, mais ils oublient de faire corps et âme avec le Christ qui oeuvre par l’Esprit au « sanctuaire des consciences ». C’est sans doute cela, la foi pleine d’humanité, expérimentée durant trente ans par le Christ, habitée aujourd’hui du souffle de son Esprit. Une manière d’être se dégage alors pour le disciple du Christ. Un savoir-être, un style de vie créatif s’inventent dès lors que des initiatives peuvent être prises en se greffant sur ce que, déjà, l’Esprit est en train de faire émerger dans une vie humaine ou dans un corps social. L’Esprit souffle où il veut !

 

SPIRITUALITÉ ET RELIGION

Pour l’heure, l’imaginaire des religions, des institutions, des dogmes fait écran. Ne déplorons pas ce temps que nous vivons. C’est un temps libre pour que les cheminements soient authentiques en passant par l’intérieur des consciences dans un élan de vérité. Bien des scories accumulées par l’histoire sont à secouer, car elles ont miné des consciences, établi des culpabilités qui, à leur tour, ont empêché une vraie relation au Christ Jésus appelant chaque baptisé à la liberté intérieure. « C’est à la liberté, nous dit saint Paul, que vous avez été appelés. » Des petites communautés de base, des « foyers de vie chrétienne » sont appropriés à notre temps pour être des lieux d’apprentissage à la liberté intérieure. Chrétiens et chercheurs de sens peuvent faire alliance, chacun apportant ce qu’il perçoit comme beauté et bonté dans le monde. Les appellations sont diverses mais, ensemble, un art de vivre peut s’inventer.

 

CONTEMPLER POUR LUTTER

La contemplation, largement permise et possible à la campagne, est nourriture pour la foi et pour rendre grâce. Contemplation de la nature bien sûr, mais aussi des liens sociaux qui se tissent quand les services de l’État sont défaillants, quand les villes moyennes, forces de développement, sont éloignées. Bonheur en particulier d’avoir, dans une toute petite commune, une auberge accueillante, lieu de rencontres facilitateur d’une mixité sociale heureuse. Magnifique service que le « crieur public » qui vient par email informer les abonnés des événements à venir mais aussi des services offerts : covoiturage, ventes, échanges d’objets, coups de main, partage d’outils. Magnifique service que celui d’un syndicat du Plateau qui tente d’améliorer des domaines d’activité comme celui de la forêt, de l’agriculture, des transports et de la santé. Comment ne pas voir dans ces énergies déployées, dans ce souci d’un quotidien harmonieux dans la commune, une vie spirituelle, fût-elle sans appartenance religieuse ?

Les luttes ne sont pas à exclure. L’Évangile nous incite à y prendre part, car les forces de la mort s’invitent toujours. Un élevage industriel de bovins vient-il à s’installer au risque de perturber les valeurs de la population locale ? Une action collective est menée. Des « coupes rases » dans la forêt viennent-elles à se faire, au mépris d’une vraie gestion de la forêt, laissant mourir le « duramen », le coeur dur des arbres ? Une action est menée. Toutes ces actions sont habitées d’une spiritualité qui considère qu’il y a une nourriture plus grande que celle de la consommation et de l’argent : c’est celle de l’Esprit et des valeurs qui gardent l’humanité dans sa dignité de créature de Dieu.

 

QUELLE ESPÉRANCE POUR DEMAIN ?

Il me semble que la ruralité, avec ses espaces naturels et le contact privilégié avec le vivant, est un laboratoire utile à toute la société et le sera davantage dans les années à venir. En effet, elle est un lieu prophétique, partenarial avec les métropoles, pour inciter les populations des villes à un mieux vivre, c’est-à-dire à quitter des modes de vie matérialiste dénués de vie spirituelle. Vies amputées que dénonce le pape François dans son appel à une « écologie intégrale » et dans son cri du coeur poussé dans Laudate Deum où il invite à se poser ardemment la question : « Quel est le sens de ma vie, quel est le sens de mon passage sur cette terre, quel est le sens, en définitive, de mon travail et de mes efforts ? » Assurément, quand le sens de la dignité des personnes s’estompe, le vide est remplacé par la violence dès la prime jeunesse. Aussi voit-on des jeunes mettre à mort d’autres jeunes. Un monde sans élan spirituel, sans reconnaissance que l’autre est une terre sacrée, devient un monde sans âme. On aura beau colmater les brèches de notre société, ce sera à court terme et en vain. Notre époque a besoin de la ruralité pour demeurer une société habitable, respectueuse, d’ouverture aux autres, d’ouverture à Dieu qui a créé le Ciel et la terre et a confié à l’homme… sa Création.

Par le père Gilles Gracineau, auteur du site www.ruralite-terrenouvelle.com

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