A la une   L'habit ne fait pas le moine 

La force du témoignage humain

La foi est une affaire intime qui prend chez chacun un visage différent. Dans chaque numéro, 1000 raisons de croire vous propose quelques vies parallèles pour éclairer de façon inattendue des parcours originaux.

© Ingrid Mareski
JEAN-MARIE LUSTIGER, « FRÈRE AÎNÉ DANS LA FOI » D’ANNE ROUMANOFF

« JUIVE ET CATHOLIQUE À LA FOIS »

Exubérante sur scène, Anne Roumanoff est généralement discrète sur sa vie privée. Elle se livre de temps à autre, y compris sur son parcours spirituel, mais toujours avec pudeur. Il faut dire que son itinéraire de foi n’est pas linéaire. Élevée dans une famille juive avec « un grand-père catholique et trois grands-parents juifs », elle ne pratique pas dans sa jeunesse, se souvenant avoir fêté Yom Kippour une seule fois dans sa vie. Ses parents sont davantage tournés vers des spiritualités d’Extrême-Orient. Jeune, elle confie ne se retrouver ni dans les jeunes catholiques de l’aumônerie de son lycée ni dans ses camarades juifs pratiquants.

C’est une fois adulte qu’elle s’est approchée du catholicisme. Ayant pris l’habitude de fréquenter les églises, elle déclare en 2007 sur la chaîne KTO se sentir finalement « juive et catholique à la fois ». Elle avoue aussi toujours prier avant de jouer, chercher des lieux où la grâce se fait sentir – y compris sur une scène de théâtre – assurée que la foi en Dieu donne un sens à la vie. Quelques années plus tard, elle demande le baptême. Aujourd’hui, quand on lui reproche sa conversion en lui rappelant avec insistance ses origines juives, elle répond avec l’humour qu’on lui connaît : « Écoutez, Jésus aussi était juif, donc foutez-moi la paix ! »

JEAN-MARIE LUSTIGER, UN « JUIF CARDINAL »

Singulier, le parcours spirituel d’Anne Roumanoff n’est pas sans écho avec celui de Jean-Marie Lustiger. Né Aron Lustiger, issu d’une famille juive ashkénaze originaire de Pologne, avec un grand-père paternel rabbin, Jean-Marie Lustiger se convertit adolescent au christianisme, puis entre dans les ordres. Il finit archevêque de Paris et cardinal de l’Église catholique.

Du fait de cette vie singulière, le cardinal Lustiger se situera comme une figure d’un dialogue renouvelé entre judaïsme et christianisme au XXe siècle. Parmi les éléments qui lui tenaient à coeur figurait la connaissance des racines juives de l’Église par les chrétiens. Accompagnant Jean-Paul II en Terre sainte et les évêques français à Drancy et à Auschwitz où sa mère a été déportée, il a consacré sa vie à une meilleure écoute de ceux que l’Église appelle depuis Jean-Paul II ses « frères aînés dans la foi ». Comme Anne Roumanoff, le cardinal Lustiger s’est toujours considéré comme juif, tout en ayant été baptisé. La comédienne chérit le souvenir d’une grand-mère, enterrée sur le mont des Oliviers à Jérusalem, en Israël. Un lieu symbolique, le plus ancien site funéraire hébraïque d’une part, et le dernier lieu où se retira le Christ avant son arrestation d’autre part. Le cardinal, lui, avait demandé à sa famille de réciter le kaddish, cette prière mortuaire juive, sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame pour ses funérailles. Une façon pour lui d’entretenir le dialogue jusqu’à la fin.

 

OLIVIER GOY OU LA LEÇON D’ÉZÉCHIAS

Depuis la sortie du film Invincible été, l’histoire d’Olivier Goy émeut la France. Cet entrepreneur plein d’allant et de succès a été diagnostiqué, le 8 décembre 2020, de la maladie de Charcot. Une maladie dégénérative, à ce jour incurable, qui paralyse petit à petit les muscles et les neurones, enfermant le malade dans un corps qui ne lui répond plus. Le diagnostic signe donc une condamnation à court terme. Pour Olivier Goy, le pronostic vital a été estimé entre trois et cinq ans.

FACE À LA MALADIE DE CHARCOT

C’est pour le guérir de la dépression engendrée par cette horrible nouvelle que Olivier Goy consulte une psychologue. En discutant avec elle, il comprend : « Si je déprime, je vais me punir deux fois. Il faut que je vive intensément, malgré l’annonce de ma mort prochaine. Après tout, nous sommes tous condamnés à mourir. » Dès lors, il décide de cultiver la joie dans l’épreuve : malgré la paralysie qui le gagne et l’appareil électronique qui demeure son unique moyen de communication, Olivier Goy continue de sourire et ne perd rien de son humour qu’il cultive. Il raconte son histoire à travers des podcasts et un livre, Invincible, sorti en septembre 2024. Son constat est lucide : « Notre combat à tous est perdu d’avance. Pour autant, la personne âgée devrait-elle arrêter de vivre dans ses dernières années ? Le malade, comme moi, se condamner avant la fin ? Bien sûr que non ! »

« L’INVINCIBLE ÉTÉ » D’UN ROI HÉBREU

Catholique de tradition mais non pratiquant, Olivier Goy aime se définir comme « spirituel » : « J’ai apprivoisé la mort, témoigne-t-il dans le journal la Vie. Elle ne me fait plus peur. Elle me rappelle juste qu’il ne faut pas gâcher sa vie. » Dans le « réel » (courte vidéo) qui a enregistré le plus de vues de l’histoire du compte Instagram de M6 Officiel – 3,8 millions au compteur –, il fait pleurer les invités lorsqu’il répond à la question d’Ophélie Meunier : « Quel est le plus beau souvenir de votre vie ? — Ce matin au réveil : un jour de plus ! » Ce rapport équilibré à la mort rejoint un témoignage très ancien que l’on trouve dans la Bible : celui du roi Ézéchias.

Comme Olivier Goy, Ézéchias est un homme important et respecté lorsqu’il découvre qu’il est atteint d’une maladie mortelle. Auprès de lui, le prophète Isaïe tient lieu de médecin et lui livre un diagnostic sans appel : « Prends tes dispositions pour ta maison, car tu vas mourir, tu ne guériras pas » (Is 38,1). À ces mots, le roi sombre dans la tristesse et la dépression. Il fond en larmes. Revenant sur sa vie, il se tourne vers Dieu, lui adresse ses prières, et Dieu l’entend. Le Seigneur décide de lui accorder un temps de vie supplémentaire. Mais ce n’est pas une alternative à la mort que Dieu offre à Ézéchias : c’est la conscience de sa finitude et la possibilité de vivre pleinement les années qui lui restent. Dès lors, Ézéchias se demande « comment monter à la maison du Seigneur » et choisit de vivre en faisant confiance à Dieu. Avec cette révélation, la mort ne lui fait plus peur et il s’exclame : « Voici que mon amertume se change en paix » (Is 38,17). Une phrase qui aurait pu aussi servir de titre à l’oeuvre d’Olivier Goy.

 

 

 

CÉDRIC VILLANI, DANS LES PAS DE BLAISE PASCAL

Lauréat de la médaille Fields, équivalent du prix Nobel en mathématiques, Cédric Villani fait partie des mathématiciens contemporains les plus connus des Français. Avec ses lavallières de couleurs et ses cheveux mi-longs, il pourrait donner l’impression d’être contemporain de Blaise Pascal et de René Descartes ! Mais s’il dialogue avec eux en pensée, cet universitaire n’en reste pas moins un homme du XXIe siècle. Entre autres différences notables : la question spirituelle. Si Descartes et Pascal étaient obsédés par l’idée de prouver par la raison l’existence de Dieu, Villani, lui, se déclare « agnostique en toutes choses », avant de préciser : « Quand les gens répondent ça, c’est qu’ils sont un peu mystiques sur les bords. Sinon, ils se disent athées. » Cette prudence sur le sujet, il la doit peut-être à sa grande connaissance scientifique. De fait, en mathématiques, la question de Dieu prend une tournure particulière, comme il le soulignait dans une conférence en 2023 : « Les tournures d’esprit qui vont bien avec les sciences mathématiques sont aussi des tournures qui vont bien avec l’interrogation spirituelle et/ou religieuse. »

UN ADMIRATEUR DE BLAISE PASCAL

En disant cela, Cédric Villani pense peut-être à Leonhard Euler, grand mathématicien suisse du XVIIIe siècle et fervent chrétien, qu’il cite volontiers. Mais plus sûrement encore à Blaise Pascal, pour lequel il exprime régulièrement son admiration. Pour Villani, Pascal est en effet un « emblème de la pensée française en même tant que de l’originalité » – ce qui n’est visiblement pas pour lui déplaire. Il voit notamment en ce précurseur un « génie de la tech avant l’heure », du fait de l’invention de sa célèbre machine à calculer, la pascaline, perçue parfois comme l’ancêtre lointain de nos ordinateurs. Mais ce qui l’éblouit particulièrement semble être la profondeur de ses raisonnements dans tous les domaines : « À l’époque où démarre le grand projet du cartésianisme, de la raison qui avance méthodiquement pour construire un savoir sûr et universel, de l’humain qui, par sa raison, ordonne le monde et le maîtrise, Pascal est à contre-courant », faisait-il remarquer à Philosophie magazine, à l’occasion des 400 ans de la naissance du génie clermontois.

Profond, Pascal l’est en effet d’une façon qui ne cesse de surprendre. « Effrayant génie », selon le mot de Chateaubriand, Pascal ne s’est pas contenté d’être un immense mathématicien : il fut aussi l’un des grands philosophes de la modernité, un écrivain hors pair, un physicien, un inventeur, un moraliste… Mais il fut surtout un apologète de la religion chrétienne à laquelle il consacra ses écrits les plus importants. Une dimension que ses admirateurs ne peuvent contourner et qui le place encore et toujours à contre-courant.

DE L’INTELLIGENCE DES MATHS À CELLE DE LA FOI

Pascal consacra une grande partie de sa vie à l’exposition rationnelle de la foi en ce Dieu qu’il définissait par cette métaphore mathématique : « Dieu est une sphère infinie, dont le centre est partout et la circonférence nulle part. » Mais si la raison est fondamentale pour lui, la foi est d’un ordre infiniment supérieur encore : « Il faut savoir douter où il faut, se soumettre où il faut, croire où il faut. » Qu’est-ce qui permit à une telle intelligence de franchir le saut de la foi ? Certainement pas le fameux pari, mais la rencontre d’une des plus vives intelligences de la pensée française avec l’Intelligence créatrice lors de la célèbre « nuit de feu » du 23 novembre 1654, et plus encore avec une personne : « Dieu de Jésus-Christ. Deum meum et Deum vestrum. » « Ce n’est pas dans la marche du monde et dans les lois de l’Univers qu’il cherche les preuves de Dieu, remarque à ce sujet Cédric Villani, mais en premier lieu dans le témoignage humain : témoignage de Jésus, des miracles. » Un témoignage qui, décidément, n’a pas fini d’interroger ceux qui aiment les mathématiques.

Bertrand Duguet

Retour à l'accueil