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La femme la plus célèbre au monde

En faisant de Marie, obscure jeune fille d’un obscur village, la plus illustre femme au monde, Dieu nous a donné une raison de croire extraordinaire en la vérité de la foi chrétienne.

© CC0 Unsplash Mateus Campos Felipe.

Cette présence terrestre de la Mère de Dieu, signifiée depuis le début du christianisme tant dans le culte marial de l’Église (prière, neuvaine, pèlerinage, etc.) que dans les apparitions extraordinaires de Marie, transmet l’Évangile aux hommes depuis plus de vingt siècles, sous toutes les latitudes et dans toutes les civilisations. Culte marial et apparitions de la Vierge sont en fait les deux aspects d’une même réalité : Notre Dame vient en ce monde pour aider les croyants à mieux vivre leur foi et à s’unir davantage à son Fils, Jésus. C’est un fait universel.

 

DES APPARITIONS SUR CHAQUE CONTINENT...

La beauté, la richesse, le foisonnement des cathédrales, églises, chapelles et monastères, ainsi que des milliers de sanctuaires répartis sur les cinq continents témoignent de l’incomparable ferveur exprimée par des milliards de personnes sur cette terre. Sur ce point, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Parmi les très nombreux édifices cultuels que compte la France, une large partie a été érigée en l’honneur de la Vierge Marie ; le pays compte presque 3 000 lieux de dévotion mariale.

Mesurer l’amour porté à Marie, bien au-delà des frontières culturelles, nécessite de prendre un peu de hauteur : en observant une carte des « interventions » de la Vierge depuis le Ier siècle, un fait s’impose : les lieux ignorés ou peu fréquentés par Marie sont bien minoritaires. Europe, Amérique, Océanie et Asie ont connu et connaissent des apparitions diverses. En pointant sur un globe terrestre chaque lieu des manifestations mariales (sérieuses et documentées), une évidence saute aux yeux : les 3/5e des États recensés ont été une terre d’accueil pour Marie, à un titre ou à un autre.

Au fait, que savons-nous du nombre total d’apparitions ou d'interventions ? Un tel calcul est très difficile. En 2002, en nous basant sur des sources existantes et fiables, nous avons proposé le nombre de 2 400, soit un peu plus d’une seule par an (dans Dictionnaire des miracles et de l'extraordinaire chrétiens, Fayard, 2002) ! Certains y voient un gonflement déraisonnable. Nous y percevons la partie émergée de l’iceberg. Partons à la découverte d’un tel patrimoine spirituel, humain et artistique.

 

… ET DANS TOUS LES SIÈCLES

Les apparitions de Marie sont à l’origine des sanctuaires et des pèlerinages les plus importants du monde chrétien (hormis Rome et Jérusalem). Dès le premier millénaire, ses apparitions donnent un sens, dans une dimension souvent prophétique, aux événements vécus par les chrétiens, encore minoritaires en Europe. Les trois premières d’entre elles ont lieu très tôt (Espagne, Saragosse, 2 janvier 39 ou 40, et deux fois dans la France actuelle : Le Puy-en-Velay, en 47 ; Ferrière-en-Gâtinais, la même année). Chacune d’elles aboutit à l’édification d’un important sanctuaire dans les quatre premiers siècles de notre ère.

En 239, c’est la première apparition mariale (« mariophanie » selon un terme de Jean Guitton) orientale documentée (Néocésarée, Turquie actuelle). Elle est suivie en 313 de la première apparition en Inde, à Kuravilangad (Kerala). Viennent ensuite celle d’Éphèse (Turquie), de Rome (4 août 352), d’une seconde au Puy (430), de Saint-Florent-le-Vieil (France, Maine-et-Loire), de Constantinople (Istanbul actuelle), de Collepardo (Italie, Latium) au début du VIe siècle, le plus ancien sanctuaire marial d’Italie... Et nous n’en sommes encore qu’à la première moitié du premier millénaire !

À partir de la fin du VIe siècle, les apparitions italiennes se multiplient, suscitant à chaque fois la construction d’un bâtiment religieux et ouvrant une route de pèlerinage, comme si Marie avait décidé d’étendre sa présence à travers la péninsule : Gênes (Ligurie, 560), Rossano (Calabre, 585), Morroni di Bonito (vers 590), Bénévent (Campanie, 663), Morro d’Oro (Abruzzes, 715), Itri (Latium, 732), Cremolino (Piémont, vers 820-830), Capaccio (Campanie, fin du IXe siècle), Picciano (Abruzzes, 997), Montefortino (Marches), Monteodorisio (Abruzzes) et Arma di Taggia(Ligurie), les trois en l’an 1000, à quelques semaines d’intervalle. Puis Foggia (Pouilles) en avril 1001, dont l’église construite sur les lieux de l’apparition est érigée en basilique mineure en 1978…

Du VIe au XIe siècle, l’Italie n’est plus le seul pays concerné. Songeons à Boulogne-sur-Mer (France, Pas-de-Calais) où l’on découvre une statue miraculeuse de la Mère de Dieu en 636 ; en 1879, le pape Léon XIII élève l’église du sanctuaire en basilique mineure. Le 14 septembre 948, l’évêque Conrad de Constance a une vision de la cour céleste, avec Jésus et Marie, tandis qu’il participe à un office dans l’abbaye bénédictine d’Einsiedeln (Suisse). Le lieu est devenu le plus grand pèlerinage marial de Suisse.

À la fin du Moyen Âge, toute l’Europe méridionale et celle du Nord-Ouest (France, Angleterre, Flandres…) a reçu une ou plusieurs visites de la Reine des anges. Si l’on superpose la carte des routes de pèlerinages, internationaux, nationaux et locaux, avec celle des manifestations mariales, on observe leur très grande similitude.

Au-delà de notre continent, dans les contrées lointaines et encore inconnues où s’engagent explorateurs et missionnaires, la Vierge va aussi venir, permettant d’étendre la foi à de nouveaux et vastes horizons. La civilisation métisse de l’Amérique latine – continent où vit aujourd’hui un catholique sur deux – découvre la foi au Christ dans le sillage des apparitions de la Vierge à saint Juan Diego (Guadalupe, 1531). En 1555, c’est la Colombie qui reçoit Marie : Notre Dame de Chiquinquira est aujourd’hui patronne du pays. En 1591, un chef coutumier indien du Venezuela voit une « dame d’une beauté merveilleuse » qui lui dit : « Allez dans la maison des Blancs et demandez-leur de vous verser de l’eau sur la tête, afin que vous puissiez venir au Ciel. » Le sanctuaire de Coromoto n’allait pas tarder à naître. C’est en 2024 un sanctuaire national où saint Jean-Paul II a couronné une statue de Marie le 27 janvier 1985.

En 1717, la Vierge apparaît au Brésil, à Aparecida, comme pour dire aux peuples de cette partie du monde qu’elle pense à eux et les aide. Ici encore, le fait visionnaire, accepté et encouragé par les autorités ecclésiastiques, aboutit à la construction d’une basilique pouvant accueillir 275 000 personnes... Chaque année, 8 millions de croyants, venus des quatre coins du pays, s’y rendent dans la ferveur.

Du XVIe au XVIIIe siècle, le nombre de « communications » recensées en Europe avec la Vierge Marie explose littéralement. Qu’on en juge :

  • en 1400 : Châlons-en-Champagne (France, Marne ; Charles X puis Louis-Philippe s’y rendent en pèlerinage),
  • en 1426 : Monte Berico (Italie, Vénétie),
  • en 1449 : Cubas (Espagne, Nouvelle-Castille),
  • en 1484 : Dettelbach (Allemagne, Bavière),
  • en 1491 : Trois-Épis (France, Haut-Rhin) et Ammerschwihr (Bas-Rhin),
  • en 1492 : Cos (Portugal),
  • en 1518 : Camogli (Italie, Ligurie),
  • en 1519 : Cotignac (France, Var),
  • en 1536 : Savone (Italie, Ligurie) et Monte Stella (Italie, Lombardie),
  • en 1550 : Azay-sur-Thouet, (France, Deux-Sèvres),
  • en 1557 : Montallegro, (Italie, Ligurie),
  • en 1618 : Sant Aniol (Espagne, Catalogne),
  • en 1664 : Le Laus (France, Hautes-Alpes),
  • en 1686 : Celles (France, Ariège, où une commission d’enquête recense 28 guérisons miraculeuses),
  • en 1705 : Capurso (Italie, Pouilles), etc.

Le XVIIIe siècle, ère des Lumières, n’est pas en reste. Chacune de ces manifestations de la Vierge est à l’origine d’un pèlerinage local ou de plus vaste ampleur ; les sanctuaires comprennent au minimum un oratoire ou une chapelle et aucun n’a rencontré d’opposition de la part du clergé.

 

DE VIEILLES SUPERSTITIONS ?

Puis vient la période contemporaine, moment de bouleversement où le scientisme prétendit ranger définitivement la foi au rayon des vieilles superstitions. Faut-il voir dans les multiples signes reçus de Marie à cette époque une tendre prévention céleste ?

Quoi qu’il en soit, le XIXe siècle marque un tournant dans l’histoire des apparitions. Celles-ci s’étendent désormais à toute la terre, comme si Marie accompagnait la mondialisation des échanges et des cultures : Champion (États-Unis, 1859), Gietrzwald (Pologne, 1877), Knock Mhuire (Irlande, 1879), Fátima (Portugal, 1917), etc. La France du XIXe siècle est un haut lieu marial et il est convenu depuis longtemps que la succession des grandes apparitions touchant notre pays demeure un exemple unique : la Rue du Bac (1830), La Salette (1846), Lourdes (1858), Pontmain (1871), Pellevoisin (1876)… Trois de ces apparitions figurent parmi les 15 reconnues officiellement par l’Église catholique.

Ce n’est pas tout. Au-delà des expériences visionnaires et des sanctuaires déjà évoqués, il faut mesurer à quel point la présence de Marie, loin de se résumer à des « anomalies » de la vie religieuse, constitue un fait de civilisation répandu dans le monde entier. Les chiffres des grands pèlerinages, très majoritairement marials, se passent de commentaires : Guadalupe (plus de 15 millions de pèlerins par an), Aparecida (7 millions), Lourdes (6 millions ; « seulement » 2,5 millions en 1954), Fátima (5,4 millions), Czestochowa (Pologne, 5 millions), Velankanni (Inde, 1,5 million), Rue du Bac (Paris, 1,3 million), Kibeho (Rwanda, entre 5 et 600 000), Pontmain (200 000), La Vang (Vietnam, 100 000), Akita (Japon, plusieurs dizaines de milliers)… Il faut ajouter à ces chiffres déjà explicites les pèlerinages régionaux et locaux propres à chaque pays. À titre d’exemple, sur les 25 lieux de pèlerinage d’Auvergne, 24 sont dédiés à Notre Dame ; la seule Somme comprend 116 églises dédiées à la Mère de Dieu, et le diocèse de Chambéry en compte 34. À Paris, plus d’une église sur 4 lui est également consacrée. Notre pays comprend 101 départements… Et ce serait compter encore sans les nombreux phénomènes allégués en Russie et en Asie centrale, y compris durant la période soviétique.

Outre les sanctuaires, les apparitions ont quelquefois des « retombées » inattendues, comme la Médaille miraculeuse en 1830 suite aux apparitions de la Rue du Bac : dès 1835, plus d’un million d’exemplaires a déjà été fabriqué ; en 1839, on atteint les 10 millions et, en 1876, année de la mort de Catherine Labouré ayant reçu les apparitions, près d’un milliard de médailles circule à travers le monde.

Dans l’histoire, la Vierge a également introduit des habits religieux qui ont eu une renommée incroyable, comme le scapulaire : au XIIIe siècle, saint Simon Stock a la vision du scapulaire de l’ordre du Carmel ; Estelle Faguette fait connaître le scapulaire du Sacré Coeur suite aux apparitions de Marie à Pellevoisin…

Dans une perspective plus générale, une large part de la vie religieuse de nos sociétés est « mariale ». Inutile de s’étendre sur les dix siècles du Moyen Âge au cours desquels la piété mariale se répand dans tous les échelons de la société et dans toute l’Europe. Quelques brefs exemples suffiront : à Venise, l’Annonciation (25 mars) marque le début de l’année civile en matière des comptes publics ; en France, en Angleterre, dans les territoires germaniques, dans la péninsule ibérique, les cercles de sociabilité que sont à l’époque les confréries de laïcs se placent par milliers sous la protection de la Vierge ; nombre d’ordres et de congrégations religieuses constitués alors sont directement inspirés du culte marial : Dominicains, Franciscains, Carmes, Cisterciens, etc., placent leurs membres sous le manteau protecteur de Marie qui ne manque jamais de susciter de nouvelles fondations religieuses, des monastères, des paroisses, des instituts de vie. Au XIXe siècle, entre 1800 et 1870, pour notre seul pays, 89 congrégations nouvelles se mettent sous la protection aimante de la Vierge.

 

UNE MUSE INCOMPARABLE

Et que dire des arts ? Ils ont tous été touchés à un degré ou à un autre par la Mère de Jésus. Entre le XIe et le XVIe siècle, les fameux « miracles de la Vierge » évoqués par la littérature comptabilise 2 000 récits de miracles en latin et 490 en langue vernaculaire. Ce chiffre ne concerne que les oeuvres en vers ! La prose médiévale nous a transmis 600 autres prodiges. Savons-nous que la musique liturgique célèbre Marie depuis bien avant l’an mil ? Nous souvenons-nous que les quatre antiennes universelles que sont l’Alma Redemptoris mater, l’Ave Regina coelorum, attribué à saint Bernard, le Regina coeli laetere et le Salve Regina furent composées entre le VIIe et le XIIe siècle ? Du reste, il n’y a pas une période où Marie n’est pas présente, y compris dans les arts contemporains que l’on dit parfois éloignés de la foi. Fernand Léger, Henri Matisse, Maurice Denis et tant d’autres ont peint le visage de Marie.

Sur le plan quantitatif, nous l’avons compris, les chiffres donnent le vertige. Qui donnera une estimation un tant soit peu précise du nombre de tableaux, gravures, dessins et statues représentant la femme qui a le « soleil pour manteau » (saint Jean-Paul II, homélie du 15 août 1983 à Lourdes) ? Qui mesurera l’influence spirituelle, culturelle et sociale de tant d’icônes miraculeuses en Europe centrale et orientale depuis le XIe siècle ? Qui dressera la liste des lettres, discours, documents officiels des évêques du monde entier à propos de la Vierge ?

Le pape Léon XIII promulgua à lui seul 12 encycliques pour encourager la dévotion au Rosaire. Et que dire des enseignements de Pie XII, de Jean XXIII, de Paul VI, de Jean-Paul II et du pape François ? Les deux derniers dogmes catholiques con-cernent Marie (l’Immaculée Conception en 1854, l’Assomption en 1950).

Enfin, les statues installées en divers lieux de pèlerinage à travers le monde font merveilleusement écho à la présence rassurante de la Mère des croyants : elles se comptent par milliers et ont une taille des plus variables, de quelques centimètres à 42 mètres de haut (Java, Indonésie) !

L’historien Fernand Braudel parlait de civilisation matérielle… Mesurons à quel point les réalités matérielles de ce monde – comme toutes celles de la foi évidemment – sont profondément marquées par Marie, la femme de très loin la plus célèbre, la « missionnaire de l’amour divin » (Robert Pannet).

Patrick Sbalchiero

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