Les défis de Knock, le « Lourdes irlandais »
Le petit village de Knock Mhuire n’a l’air de rien. Perdu dans le nord-ouest de l’Irlande, non loin des fameux lacs du Connemara, il n’attirerait pas l’attention si ce n’était pour son extraordinaire histoire.
Knock Mhuire, la « montagne de Marie » en gaélique, est surnommée le « Lourdes irlandais ». Pourquoi cette appellation ? Voici l’histoire du plus saint village irlandais, situé dans le comté de Mayo, à une heure de route au nord de Galway. Notre récit commence en 1879, le 21 août très exactement. En milieu de soirée, il se met à pleuvoir lourdement sur ce hameau d’à peine 500 âmes. Au-delà de la pluie à laquelle on est par ailleurs habitué, les esprits ne sont pas en fête. Une grande famine a secoué sévèrement le pays dans les années 1840 et, depuis deux ans, la récolte de pommes de terre, principale source de revenus, est très mauvaise. Cette année encore, tout le village craint que la récolte ne soit désastreuse… En plus de cela, il y a beaucoup d’agitation dans le milieu de la politique agricole du pays. Les loyers des propriétaires terriens sont jugés trop élevés par une grande partie des locataires, et beaucoup d’entre eux sont en passe d’être expulsés. L’Irish Land League, créée en avril 1879, tente d’obtenir des loyers équitables et des locations stables.
CONSOLATION ET ESPÉRANCE
C’est dans ce contexte très difficile que l’extraordinaire se produit. Il est 20 heures passées quand les gouttes de pluie qui tombent sans discontinuer depuis plusieurs heures sur Knock sont soudainement éclairées par une lumière venue du ciel… Que se passe-t-il ? Mary Byrne, l’une des habitantes du village, raccompagne chez elle Mary McLoughlin, la femme de ménage du curé, quand elle s’immobilise en voyant cette lumière sur la place de l’église. « Regardez ces belles personnes ! C’est la Sainte Vierge », s’écrie-t-elle. Les deux Mary sont bientôt rejointes par d’autres villageois attirés, eux aussi, par cette lumière visible jusqu’à un kilomètre de distance. Devant la foule composée maintenant de plus de 25 personnes âgées de 5 à 74 ans se tiennent la Vierge Marie, saint Joseph et saint Jean l’évangéliste tenant une Bible, tous entourés d’anges. À leurs côtés, sur un autel, un petit agneau placé devant une croix reste aussi muet que les trois autres protagonistes. La stupeur s’empare des uns et des autres et, bien que la pluie fouette durement les visages, on s’agenouille sur le parvis de l’église pour commencer à réciter le rosaire à voix haute, comme un seul coeur uni à celui du petit agneau qui s’offre humblement sur cet autel de lumière.
Pourquoi aucun mot n’est-il prononcé par l’apparition ? Nóirín, responsable de la communication du sanctuaire et originaire du village, a sa théorie. « Marie n’a pas dit un mot, elle n’avait pas besoin de le faire, elle était là. Elle leur a apporté de la consolation, parce que les temps étaient très durs. Bridget Trench, l’aînée des témoins, s’est avancée pour essayer de toucher les pieds de Notre Dame. L’apparition entière s’est alors déplacée le long du mur de l’ancienne église et l’on s’est alors aperçu qu’il est resté totalement sec, comme l’ensemble des protagonistes, d’ailleurs. » Pour célébrer les 100 ans de l’apparition, mais surtout pour apaiser le conflit entre protestants et catholiques, le saint pape Jean-Paul II s’est rendu en Irlande, pour une première visite papale dans le pays, du 29 septembre au 1er octobre 1979. Le pape polonais, alors âgé de 59 ans, a lui-même mis l’accent sur une Vierge muette face à un peuple bien connu pour sa propension au bavardage, notant que personne parmi l’assistance n’avait alors ressenti le besoin de lui poser de question, « ce qui est inhabituel pour des Irlandais », s’amuse Nóirín. Le Pape offre alors une rose d’or au sanctuaire, toujours visible à côté de la chapelle des apparitions derrière une vitre protectrice.
DES MIRACLES PAR CENTAINES
Rapidement, Knock devient un lieu de guérison. Dix jours après l’apparition, les Gordon, résidant dans une ville voisine, emmènent leur fille Delia, sourde, prier au sanctuaire. Quand sa mère touche les oreilles de Delia avec du mortier provenant du mur de l’église, la jeune fille est guérie instantanément. Dès lors, la population afflue et beaucoup de fidèles ont la grâce d’être guéris. L’archidiacre Cavanagh commence alors à tenir un registre des guérisons et, en octobre 1880, il a déjà enregistré plus de 600 cas. Des personnes souffrant de cécité, de surdité, d’ulcères, de fractures, de tumeurs malignes ou de claudication attestent de leur guérison. Les pèlerins grattent la pierre et le mortier du mur de l’apparition – qu’ils conservent parfois comme reliques – pour être touchés par la grâce... Lors des premiers jours du sanctuaire, l’eau bénite sur place est aussi très recherchée et, aujourd’hui encore, on peut toucher la pierre d’origine du mur de la chapelle de Knock et se procurer de l’eau bénite, jugée miraculeuse.
Le 8 octobre 1879, l’archevêque Mgr McHale du diocèse de Tuam (dont Knock fait partie) initie une commission d’enquête sur l’apparition. Quinze témoins d’âges différents sur les vingt-cinq ou trente présents acceptent de soumettre leur déposition manuscrite : Bridget Trench, 74 ans ; Margaret Byrne, 68 ans ; Patrick Walsh, 65 ans ; Mary McLoughlin, 45 ans ; Brigid Flatley, 44 ans ; Dominick Byrne, 36 ans ; Mary Byrne, 29 ans ; John Durkan, 24 ans ; Judith Campbell, 22 ans ; Margaret Byrne, 21 ans ; Dominick Byrne, 18 ans ; Patrick Byrne, 16 ans ; Patrick Hill, 11 ans ; Catherine Murray, 8 ans ; John Curry, 5 ans. Les conclusions de la commission sont soumises à l’archevêque, elles rapportent : « Les dépositions des témoins, prises dans leur ensemble, sont dignes de confiance et satisfaisantes. » Nóirín, dont la famille a toujours été très proche du sanctuaire, connaît son histoire et ses protagonistes par coeur. Aussi bien le petit John Curry qui avait immigré aux États-Unis que Mary Byrne, restée en Irlande pour transmettre autant de fois que nécessaire son témoignage resté invariable jusqu’à son ultime soupir. « Le dernier témoignage de Mary Byrne a été recueilli lors de la seconde commission d’enquête débutée en 1936. Allongée sur son lit dans lequel elle était mourante, elle a dit : "Je suis formelle sur tout ce que j’ai dit et je fais cette déclaration en sachant que je vais bientôt paraître devant mon Dieu." Elle mourut la même année », se souvient Nóirín. En 1954, la renommée du lieu est déjà grande, et la statue de Notre Dame de Knock est couronnée officiellement « reine d’Irlande ».
UN RAYONNEMENT MONDIAL
Une nouvelle visite papale attend le sanctuaire en 2018. Le recteur, Richard Gibbons, nommé en 2012 et toujours en exercice, se souvient avec enthousiasme de cet événement. « Nous l’avons appris en mars et la visite devait avoir lieu en août ! J’en ai été très heureux ! Nous savions que cela représentait une énorme quantité de travail. Nous avons donc commencé immédiatement à organiser cette visite avec les autorités ecclésiastiques à Dublin, les agences gouvernementales et le Vatican. Le pape François est venu et nous avons passé un moment merveilleux ! Il a plu malheureusement mais, de toute façon, il pleuvait aussi au moment de l’apparition ! C’est un homme très gentil qui a rencontré les paroissiens, nous étions environ 40 000 personnes ce jour-là. » L’année suivante, alors qu’il enregistre des records d’affluence, le sanctuaire doit faire face, comme le reste du monde, à la crise du Covid et fermer ses portes. Mais la Providence veille… La retransmission des messes en direct de Knock touche des fidèles du monde entier et, quand le lieu rouvre ses portes près de deux ans plus tard, les pèlerins sont encore plus nombreux, allant jusqu’à dépasser le million en 2023. Le petit village de Knock reste à ce jour le lieu saint le plus visité d’Irlande, loin devant la cathédrale Saint-Patrick à Dublin.
Il est vrai que le personnel du sanctuaire ne ménage pas ses efforts depuis le début des années 2010 pour permettre le développement des pèlerinages. Vingt millions d’euros ont été dépensés pour agrandir les possibilités d’accueil du lieu et lui offrir une vraie chance de rayonner à travers le monde. Une centaine de personnes travaille quotidiennement dans les différents édifices installés sur une centaine d’hectares. En plus de la chapelle de verre qui abrite une très belle représentation de l’apparition, l’église paroissiale a été agrandie, un grand parking a été créé, et bien d’autres infrastructures sont présentes sur le site, à l’exemple d’un musée et d’un centre pour la pastorale de jeunes. Environ 8 000 enfants et jeunes sont accueillis chaque année entre les mois de septembre et mai pour une journée de découverte du sanctuaire. Mairead Jennings, responsable de la pastorale des jeunes, a conscience que son travail est absolument essentiel pour permettre aux jeunes générations de garder, voire de développer un lien étroit avec Dieu. « Je leur explique que cette apparition était un message d’espoir pour les gens, un message dont nous avons encore besoin aujourd’hui. J’essaie de les amener à fermer les yeux et à réfléchir à ce qui se passe dans leur vie en ce moment et pour lequel ils ont besoin d’espoir. Ce n’est pas parce que nous ne pouvons pas voir Jésus ou Marie en ce moment qu’ils ne sont pas là. L’espoir nous est indispensable à tous, et surtout aux jeunes. C’est ce que cette apparition nous dit : "Vous n’êtes pas seul !" Et peu importe ce que vous traversez dans votre vie, vous ne serez jamais seul si vous vous souvenez de regarder vers le Ciel. »
Grace Mulqueen, conservatrice au musée de Knock, est elle aussi en contact avec toutes les jeunes générations qui se présentent à la suite des voyants. « Le musée expose beaucoup d’objets qui montrent à quel point la vie a changé depuis 1879. Mais nous avons cherché à transmettre l’idée dans le musée que la foi reste constante. Nous avons des jeunes ici tous les jours de la semaine. J’aime toujours leur demander : "Avant que vous ne quittiez la maison ce matin, quelqu’un vous a-t-il demandé de faire une prière pour lui ?" Et vous savez quoi ? Toutes les mains se lèvent… » Dans le musée, de nombreux témoignages sont conservés, comme celui-ci affiché parmi d’autres sur l’un des murs, visible à tous : « Knock est un endroit très spécial. Mes parents ont quitté l’Irlande à la fin des années 1950 pour trouver du travail en Angleterre. J’ai maintenant 60 ans et j’ai toujours rêvé de rentrer à la maison. Je prends l’avion depuis Bristol pour venir aussi souvent que possible. »
Depuis les tout premiers pèlerinages en 1879, le sanctuaire de Knock a marqué des générations d’Irlandais, et nombreux sont les habitants du pays, rencontrés à Galway ou à Dublin, à avoir visité le village dans leur enfance. Berni, un homme d’une soixantaine d’années rencontré à Galway, deuxième ville du pays, refuse de se considérer comme catholique, mais il se souvient : « Ma mère nous amenait là-bas, elle allait récupérer de l’eau bénite. » Même histoire pour John, chauffeur de taxi à Dublin : « Nos parents n’avaient pas d’argent à l’époque, on partait en vacances en Irlande plutôt qu’en Espagne ou au Portugal comme on le fait maintenant. Knock était visité par beaucoup d’entre nous, c’est un bel endroit », admet celui qui garde, lui aussi, une distance avec la foi de son enfance.
Comme pour renforcer ces témoignages, de nombreux monuments, statues, calvaires, grottes et autres vestiges disséminés dans chaque recoin du pays témoignent de la foi extrêmement forte qui a transporté les Irlandais pendant des siècles. Mais à l’instar du reste de l’Europe, la déchristianisation plane sur l’île Verte et c’est un défi chaque jour renouvelé pour les autorités religieuses. « Or, tout ce qui a été écrit à l’avance dans les livres saints l’a été pour nous instruire, afin que, grâce à la persévérance et au réconfort des Écritures, nous ayons l’espérance », nous enseigne saint Paul apôtre dans sa Lettre aux Romains (15,4). Sans doute cette même espérance gonfle-t-elle le coeur du recteur de Knock qui possède une foi et une énergie à déplacer les montagnes : « C’est vrai que le pays est très séculier maintenant et que la foi a beaucoup de mal à trouver le moyen d’intégrer la société. Mais les gens ont une foi résiduelle, la plupart des habitants du pays s’identifient à la religion catholique, il reste encore quelque chose… Et je pense qu’ici, à Knock où la foi est toujours vivante, nous pouvons être une ressource pour le pays et pour l’Église tout entière. Nous espérons devenir un sanctuaire aussi renommé que celui de Lourdes ou Fátima, afin que les gens viennent ici renouveler leur foi puis retournent chez eux avec un nouvel élan à partager ! »
LES RAISONS DE CROIRE À L’APPARITION DE KNOCK
- La durée de l’apparition – environ deux heures – élimine l’hypothèse d’une illusion d’optique.
- La qualité et le nombre des témoins (plus de vingt-cinq personnes), d’âges très différents (de 5 à 74 ans), pèsent en faveur de la véracité des faits. Les voyants apportent des témoignages concordants et convaincants.
- Le contenu théologiquement complexe de l’expérience visuelle dépasse les capacités inventives des témoins : ils observent un autel sur lequel se trouve un agneau entouré d’anges, un globe circulaire doré au-dessus de la scène, la présence de saint Jean, etc.
- Le lieu de l’apparition est resté entièrement sec pendant deux heures, malgré la pluie et le vent présents ce soir-là sur la région.
- Les fruits de cet événement sont nombreux, variés et durables : guérisons, conversions, paix, pardon, etc. Unique en son genre, cette apparition a été le déclencheur incroyable d’un pèlerinage majeur en Irlande ; plus d’un million de pèlerins se rendent chaque année à Knock.
- L’archevêque diocésain a créé en 1936 un Bureau des constatations médicales sur le modèle de celui de Lourdes, afin de consigner les guérisons miraculeuses rapportées en nombre.
- L’apparition a été l’objet de deux enquêtes successives, à plus d’un demi-siècle d’intervalle, dont les conclusions respectives sont en tous points identiques et favorables.
- Yves Chiron, historien et journaliste, explique que « la reconnaissance canonique du caractère surnaturel des faits n’a pas encore eu lieu de manière formelle », même si différentes marques publiques de vénération des plus hautes autorités ecclésiastiques « montrent que l’Église a authentifié l’apparition de 1879 ». En effet, l’église paroissiale est élevée au rang de basilique et plusieurs papes, dont saint Jean-Paul II en 1979 et François en 2018, sont venus prier au sanctuaire.
PAROLES DES TÉMOINS DE L’APPARITION
- Patrick Walsh : « J’étais engagé à diverses activités sur ma propriété quand, à une distance d’environ un kilomètre de la chapelle, j’ai vu une lumière très brillante sur le mur sud de la chapelle. »
- Mary Byrne : « La Vierge se tenait debout, les yeux tournés vers le ciel, les mains levées au niveau des épaules. Elle portait un grand manteau de couleur blanche, tombant à larges plis, assez lâche au niveau des épaules, et attaché au cou. Elle portait une couronne sur la tête. »
- Patrick Hill : « J’ai vu saint Joseph à la droite de la Sainte Vierge, dans une attitude de vénération. J’ai vu les pieds de saint Joseph aussi. Ses mains étaient jointes comme une personne en prière. J’ai vu des anges voler autour de l’Agneau sans discontinuer. »
- Judith Campbell : « Saint Jean était à gauche de la Vierge et, dans sa main gauche, il tenait un livre. Sa main droite était levée, son index et son majeur tout droits comme s’il enseignait. »
- Mary McLoughlin : « Cet autel se dressait sous la fenêtre du pignon et, plus à l’est des personnages, au-dessus de l’autel, un agneau d’environ cinq semaines. Derrière l’agneau, on voyait une croix. »
Marie-Ève Bourgois
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