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Non la Bible n'est pas muette sur Marie

© Unsplash, Mateus Campos Felipe.

Le dogme marial sans fondement scripturaire ? Voilà un préjugé facile qui ne résiste pas à l’examen. Car d’une certaine manière, « toute l’Écriture parle de Marie ». Pierre Corneille le suggérait en disant courtoisement à la Vierge : « En toi toutes les prophéties / Qui de toi jamais ont parlé, / Par le plein effet éclaircies, / Font voir ce que leur ombre a si longtemps voilé. »

Marie aurait pris, dans les traditions catholique et orthodoxe, une place inversement proportionnelle à sa discrétion scripturaire. Voilà un grief fréquemment porté contre le culte marial. On ne peut pourtant ignorer que la Vierge elle-même a prophétisé l’importance de la dévotion dont elle serait entourée en disant : « Toutes les générations me diront bienheureuse » (Lc 1,48). Lorsqu’elle émet cette prédiction étonnante, l’humble servante du Seigneur s’identifie à la femme vaillante qu’annonçait le livre des Proverbes. De cette femme inestimable il était dit en effet : « Ses fils se lèvent pour la proclamer bienheureuse » (Pr 31,28). Alors ? Ne convient-il pas d’apprendre à lire les Saintes Écritures et de reconnaître avec saint Paul VI que « de la Genèse à l’Apocalypse, on trouve dans l’Écriture sainte des références non équivoques à celle qui est Mère et Associée du Sauveur » ? Car l’attente biblique de « celui qui doit venir » (Lc 7,19) est inséparablement attente de « celle qui doit enfanter » (Mi 5,2). Saint Luc le souligne dans le récit de Noël en indiquant qu’était venu pour la Vierge « l’accomplissement des jours où elle devait enfanter » (Lc 2,6). Contrairement à ce qu’on pense souvent, le dogme marial catholique n’est pas une excroissance incongrue par rapport au donné biblique et à l’attente d’Israël. Il s’insère au contraire harmonieusement dans l’espérance messianique du peuple juif. Vérifions cela sur quatre exemples.

 

1 L’IMMACULÉE CONCEPTION

Les traditions juives font grand cas de la beauté d’Ève que Dieu orna de toute sorte de splendeur avant de la présenter à Adam comme une aide semblable à lui. Ève est la toute belle, la toute pure sortie immaculée des mains du Créateur. Dès le IIe siècle, saint Justin et saint Irénée reconnaissaient en Marie la Nouvelle Ève. Comment refuser à la Mère de Dieu la beauté que l’on admire chez la Mère des hommes ? Comme Ève fut créée sans péché, Marie fut conçue immaculée.

Ève est en outre la figure du peuple d’Israël dont Dieu lui-même fit sa fiancée au Sinaï. Or, sortant de siècles d’esclavage en Égypte, le peuple de l’Exode n’était guère présentable. Il était perclus de tares et d’infirmités physiques. Dieu pouvait-il donner sa Sainte Loi à ce troupeau dépenaillé ? Certes non ! C’est pourquoi, selon la tradition juive, le Très-Haut rénova de fond en comble Israël. Pour recevoir la Torah parfaite, le peuple devait être parfait. Ainsi, Dieu refit une beauté à Israël. Il le créa comme une Nouvelle Ève. Il en fit une Épouse « toute pure et sans tache aucune » (Ct 4,7), pleine de blancheur (leleukanthismèné, dit la Bible grecque de la Septante), comme Marie est pleine de grâce (kecharitômèné, dit l’Évangile de Luc). « La notion d’adéquation entre le réceptacle et le contenu est fondamentale dans la théologie mystique juive », souligne Élie Setbon. S’il fallait qu’Israël fût sans tache aucune pour accueillir la Torah, combien plus fallait-il que Marie fût préservée de toute souillure pour accueillir l’Auteur de la Torah, le Verbe de Dieu ! Loin d’être un dogme étranger au sens biblique, le dogme de l’Immaculée Conception est en profonde harmonie avec la logique juive de la Révélation.

 

2 LA VIRGINITÉ PERPÉTUELLE DE MARIE

Les Évangiles affirment que Marie conçut virginalement son Fils Jésus. Ainsi s’accomplit le signe merveilleux qu’annonçait Isaïe : « Voici que la vierge est enceinte et elle enfantera un fils » (Is 7,14). Le texte hébreu de cet oracle comporte le mot alma qui signifie simplement « jeune fille ». Mais les rabbins qui, trois siècles avant notre ère, ont traduit la Bible de l’hébreu en grec, ont choisi à juste titre le mot parthenos qui signifie « vierge ». Qu’une jeune fille enfante, en effet, qu’y a-t-il d’étonnant ? Pour qu’il y ait véritablement un signe admirable, il faut que cette jeune fille soit vierge.

La naissance de Jésus s’est effectuée sans altérer la virginité de sa mère. Ici encore, le prophète annonce ce mystère en écrivant : « Avant d’être en travail, Sion a enfanté ; avant que lui viennent les douleurs, elle a accouché d’un garçon. Qui a jamais entendu rien de tel ? Qui a jamais vu chose pareille ? » (Is 66,7). Quelle est cette femme dont parle Isaïe ? Plusieurs commentaires juifs anciens répondent qu’il s’agit de la mère du Messie à venir qui enfantera sans douleurs.

Saint Augustin et saint Jean Chrysostome affirment que Marie avait résolu, dès le plus jeune âge, d’offrir sa virginité à Dieu. Ils déduisent cette résolution de l’étrange question que la jeune épouse 5 de Joseph adresse à l’ange Gabriel : « Comment cela va-t-il se faire, puisque je ne connais pas d’homme ? » (Lc 1,34). Que signifie ce « je ne connais pas d’homme » de la part d’une jeune mariée ? Cette parole est formulée au présent et n’indique pas seulement un état de fait, mais bien une disposition permanente. Un peu comme lorsque nous disons « je ne fume pas », c’est-à-dire « je suis résolu à m’abstenir de tabac ». Mais comment Marie aurait-elle pu faire un voeu de virginité qui semble si contraire à la mentalité juive de son temps et au précepte du Créateur : « Soyez féconds et multipliez-vous » (Gn 1,28) ? La Bible elle-même témoigne qu’il existait en Israël des femmes, même mariées, faisant voeu de pénitence, ce qui inclut certainement l’abstinence sexuelle. Tout le chapitre 30 du livre des Nombres est même consacré à ce sujet.

La parole « je ne connais pas d’homme » semble nous renvoyer à la fille de Jephté qui, elle non plus, « n’avait pas connu d’homme » (Juges 11,39). Cette pieuse fille, vouée imprudemment par son père en holocauste, ira deux mois dans les montagnes pleurer sa virginité. Admirable d’obéissance, elle ne se dérobe pas à son sort et dit à son père Jephté : « Fais pour moi selon ce qui est sorti de ta bouche » (Jg 11,36), parole qui n’est pas sans rappeler le « que ce soit pour moi selon ta parole » (Lc 1,38) de la Vierge Marie. La fille de Jephté est par excellence la figure biblique de la virginité vouée. En l’inscrivant en filigrane dans son récit de l’Annonciation, saint Luc nous suggère que Marie avait, elle aussi, fait l’offrande de sa virginité. Loin d’être un contresens qui vient heurter la mentalité juive, la virginité perpétuelle de Marie se révèle dans toute sa cohérence biblique.

 

3 L’ASSOMPTION

La Bible ne dit rien de la fin du parcours terrestre de la Vierge. Pourtant, saint Luc nous donne une clef dans le récit de la Visitation. Il rapporte que Marie « se leva et partit vers le haut pays de Juda », qu’elle fut saluée par sa cousine Élisabeth par ces mots : « Comment ai-je ce bonheur que la Mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? », que Jean-Baptiste « bondit dans le sein d’Élisabeth » et que Marie « demeura trois mois dans le haut pays » (Lc 1,39-56). Tous les exégètes reconnaissent ici une réminiscence du livre de Samuel. Celui-ci raconte en effet que le roi David « se leva et partit vers le haut pays de Juda » pour faire monter l’Arche vers Jérusalem, qu’il s’écria « comment l’Arche peut-elle venir jusqu’à moi ? », qu’il « bondit » en dansant devant l’Arche, et que l’Arche « demeura trois mois dans le haut pays » chez un certain Obed-Édom (2 S 6,2-16). Les parallèles sont évidents. Luc veut nous faire comprendre que Marie est la vraie Arche d’Alliance.

Lorsque Nabuchodonosor s’apprêtait à détruire le Temple en 587 avant Jésus-Christ, le livre des Maccabées raconte que Jérémie s’en alla cacher l’Arche dans une grotte près du mont Nébo, au bord de la mer Morte. Il la cacha si bien que nul ne saura où elle est « jusqu’au jour où Dieu fera miséricorde à son peuple » (2 Mc 2,5-7). Tous les Indiana Jones peuvent se mettre en quête de l’Arche perdue, leur recherche est vaine ! L’Arche, en effet, a déjà été retrouvée au temps où Dieu a fait miséricorde, c’est-à-dire au temps de l’Incarnation. L’Arche, c’est la Vierge Marie. Le livre de l’Apocalypse exprime clairement cette identité de l’Arche et de la Mère du Messie : « Le Temple de Dieu s’ouvrit, dans le ciel, et son Arche d’Alliance apparut, dans le Temple. [...] Un signe grandiose apparut au ciel : une Femme ! Le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête » (Ap 11,19 ; 12,1). 

L’Arche d’Alliance était de bois d’acacia, imputrescible. Le corps de Marie n’a pas connu la corruption du tombeau. La Vierge a pris la place de l’Arche dans le Saint des Saints. Dieu l’a prise dans le Ciel et introduite dans son saint Temple de gloire. La parole du psaume s’est accomplie : « Lève-toi, Seigneur, vers le lieu de ton repos, toi et l’Arche de ta force » (Ps 132,8).

 

4 MARIE, MÈRE DE L’ÉGLISE

En 1964, durant le concile Vatican II, saint Paul VI a proclamé Marie « Mère de l’Église ». Titre supplémentaire, signe de la continuelle inflation mariale dont souffre l’Église ? Non, une nouvelle fois, c’est à la Bible qu’il faut revenir pour comprendre la pertinence de cette expression.

Dans l’Évangile, une femme interpelle Jésus en disant : « Bienheureuses les mamelles que tu as sucées et le sein au milieu duquel tu t’es trouvé ! » (Lc 11,27). Elle fait clairement allusion à la « bénédiction des mamelles et du sein » (Gn 49,25) que reçut Joseph, le fils de Jacob et de Rachel. Ainsi, la femme de l’Évangile reconnaît en Jésus le nouveau Joseph et donc, en Marie, la nouvelle Rachel.

La vision de l’Apocalypse nous montre une Femme avec la lune sous les pieds et souffrant des douleurs de l’enfantement (Ap 12,1). Pour toute oreille biblique, cette Femme ne peut être que Rachel, car c’est elle qui est la lune dans le songe de son fils Joseph qui vit « le soleil, la lune et onze étoiles se prosterner devant [lui] » (Gn 37,9). Les onze étoiles sont les onze frères de Joseph, le soleil est son père Jacob et la lune sa mère Rachel. Celle-ci est par excellence, pour tous les juifs, l’image de la mère éplorée (Jr 31,15 ; Mt 2,18) et celle de la femme dans les affres de l’accouchement. Elle est morte, en effet, à Bethléem en mettant au monde son second fils, Benjamin (Gn 35,16-20). Or, dans la tradition juive, Benjamin est appelé le « bien-aimé ». Moïse lui-même a dit de lui : « Il est le bien-aimé du Seigneur » (Dt 33,12).

En recevant comme fils le disciple bien-aimé, Marie s’identifie à Rachel. Lorsqu’elle entend le Christ lui dire du haut de la croix « femme, voici ton fils » (Jn 19,27), elle reçoit un second fils, Jean-Benjamin, après Jésus-Joseph. Elle devient Mère de tous les disciples bien-aimés, Mère de l’Église, en mourant spirituellement sur le Calvaire, comme Rachel était morte en mettant au monde Benjamin.

Nous l’entrevoyons par les quatre exemples ci-dessus, ce n’est pas par hypertrophie de sensiblerie que s’est développé le culte marial, mais bien dans la ligne d’une constante méditation biblique enracinée dans le meilleur de la tradition juive.

Père Guillaume de Menthière

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