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Les EMI, une invitation à l'espérance et à la conversion

Le docteur Patrick Theillier, médecin, ancien responsable du Bureau des constatations médicales de Lourdes, est l’auteur de deux livres novateurs sur les EMI (Expériences de mort imminente, Artège, 2015 – sorti en poche le 6 juin – et Expériences de vie imminente, Artège, 2019). Il répond à nos questions.

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Pour commencer, Docteur, pouvez-vous nous dire ce qu’est une EMI à proprement parler ? Cette question, qui peut sembler simpliste, mérite en fait toute notre attention, tant il existe des essais de récupération de ces phénomènes par des courants de pensée incompatibles avec le christianisme.

Bien entendu : il s’agit du témoignage de personnes considérées comme mortes cliniquement (arrêt cardiaque et électroencéphalogramme plat) qui, revenues à la vie, racontent avoir vécu une expérience inoubliable qui a changé leur existence quotidienne. Nous constatons en effet que ces « rescapés » revenus parmi nous privilégient, dans la plupart des cas, la dimension spirituelle et caritative dans leurs rapports à autrui, au détriment des biens matériels, de la recherche de gains financiers. Il s’agit donc d’une sorte de conversion, de progression morale.

 

Ce phénomène n’est pas spécifiquement chrétien, mais plutôt universel, puisque des cas ont été recensés à travers le monde, dans des sociétés très différentes et à des époques éloignées de la nôtre. Qu’en est-il exactement ?

En effet, des cas ont existé à toutes les époques, dans toutes les civilisations. Les manifestations aux confins de la mort datent de la nuit des temps : les recherches montrent qu’elles ont toujours existé, elles sont relatées dans l’histoire de toutes les civilisations. On peut citer les Livres des morts qui furent écrits en Égypte et au Tibet dans un autrefois fort lointain. On retrouve les EMI dans les textes antiques de Platon (La République) et de Plutarque (OEuvres morales). Plus près de nous, on en trouve des descriptions dès le VIe siècle (Grégoire de Tours dans l’Histoire des Francs), au VIIIe siècle (saint Bède le Vénérable) et pendant tout le Moyen Âge. La Divine Comédie de Dante en est un exemple. On connaît le polyptyque de Jérôme Bosch (XVe siècle), Ascension vers l’Empyrée, où l’on voit ces personnages comme aspirés dans un énorme tunnel. Mais c’est surtout depuis les années 1970, avec les progrès de la réanimation médicale, que ces cas se sont multipliés.

 

Certains auteurs avancent des explications biochimiques, neurologiques, voire psychopathologiques. En 2024, existe-t-il une explication scientifique fiable au sujet des EMI ?

Il n’y a aucune analyse scientifique valable à ce jour. Les EMI restent une énigme pour la science, d’autant que, ne pouvant provoquer ces phénomènes, aucune expérimentation n’est réalisable. On a mis récemment au jour une « onde de la mort et de la réanimation » qui pourrait expliquer les conditions permettant les EMI au niveau du cerveau. En revanche, cela n’explique pas le contenu des EMI, pas plus que l’observation de notre activité neuronale chaque jour n’explique celui de nos pensées !

 

Des sorties hors du corps ont été provoquées, semble-t-il, lors d’interventions chirurgicales de zones particulières du cerveau. Vivre une EMI signifie-t-il nécessairement être en état de mort clinique, selon vous ?

On peut vivre une EMI sans être en état de mort clinique. Cela a été relaté par des alpinistes qui faisaient une chute ayant dû être mortelle, mais qui en ont réchappé. Ils ont donc frôlé la mort ! C’est là un élément important à ne pas négliger : les « expérienceurs » (ceux qui vivent une EMI) n’ont vécu qu’une approche de la mort, éventuellement une « mort clinique » (arrêt du pouls et de la circulation) ; ils n’ont pas vécu la « mort métaphysique », mort d’où l’on ne revient pas, qui se caractérise par la séparation définitive de l’âme et du corps.

 

La vie et les valeurs des « expérienceurs » changent radicalement après leur « retour » parmi nous. Pouvons-nous parler d’une « grâce » des EMI, au sens catholique du terme ?

On peut en effet dire que c’est une « expérience mystique pour les nuls », une « ex-stase » au sens étymologique du terme, dans la mesure où la personne sort de son corps et entre en rapport avec le Ciel. Je pense que l’on peut parler d’une grâce spéciale, gratuite, qui touche les « expérienceurs », en sachant qu’ils sont toujours libres d’en faire ce qu’ils veulent ! Ceux qui n’ont aucune culture chrétienne sont très désorientés et peuvent se raccrocher à n’importe quelle « spiritualité » s’ils ne sont pas évangélisés !

 

Avez-vous connaissance d’EMI « négatives », avec une vision de l’enfer, par exemple ? J’ai moi-même rencontré, il y a plusieurs années, une femme ayant publié le récit de son EMI qui fut tout à la fois infernale et paradisiaque. Sa description de l’enfer notamment était terrible. Il s’agissait de l’éloignement de Dieu, de l’effacement de son amour…

Les EMI « terrifiantes » auxquelles vous faites allusion existent certainement plus souvent qu’on ne le dit. Mais on ne peut pas vraiment dire qu’elles sont « négatives », parce qu’elles sont en réalité pleines de leçons pour les sujets qui les ont vécues. Bien souvent, ces derniers changent de priorités pour ne pas revivre la même expérience après leur mort.

 

Un « Être de lumière » est fréquemment décrit dans la littérature sur les EMI. Selon vous, est-il pertinent de le comparer au Dieu de Jésus-Christ ?

L’Être de lumière dont vous parlez s’apparente complètement au Dieu de Jésus-Christ qui rayonne d’un amour infini, inimaginable, bien au-delà de nos conceptions étroites et limitées au sujet de l’amour et de la charité.

 

La fameuse « revue de vie » défilant devant la personne en train de vivre une EMI est un phénomène pour le moins déconcertant pour tout esprit rationaliste. Toutefois, il s’agit bel et bien d’une manifestation récurrente. Celle-ci s’apparenterait-elle à un jugement post mortem ?

La revue de vie n’est pas un tribunal : l’Être de lumière semble tout connaître de la personne, lui posant la question : « Qu’as-tu fait de ta vie ? » avec beaucoup d’amour mais, en même temps, avec toute l’exigence de la vérité. C’est l’Évangile, trait pour trait !

 

Peut-on vivre plusieurs EMI ?

C’est possible. Ainsi, je donne dans l’un de mes livres le témoignage du père George qui a vécu trois EMI : deux faibles et une très forte. La première fois, alors qu’il était tout jeune militaire, un retard d’ouverture de son parachute le fait entrer brutalement en contact avec le sol ; durant sa chute, il voit défiler à rebours toutes les étapes de sa vie, jusqu’à sa naissance, puis passe deux mois dans un fauteuil roulant. La deuxième fois, il est victime de la déflagration d’une grenade dans une casemate lors d’une opération militaire ; flottant au-dessus de son corps pendant quelques minutes, il se voit mort et identifie les personnes qui se trouvent autour de lui, puis reprend vie non sans quelques séquelles, les lobes supérieurs de ses poumons ayant été endommagés. La troisième fois, il va jusqu’à voir la « lumière », ce qui l’amènera à changer complètement de vie : de conseiller spécial d’un chef de gouvernement aux Caraïbes, il devient l’un des prêtres exorcistes les plus sollicités de France.

 

Parmi les manifestations composant une EMI, il y a la « décorporation », la sortie hors du corps. S’agit-il, selon vous, d’une forme de bilocation ? Ce qui nous rapprocherait encore de l’expérience mystique extraordinaire…

Il existe des rapprochements, mais ce n’est pas identique. Dans la sortie du corps lors d’une EMI, l’âme s’écarte du corps inanimé, comme mort, en pouvant même « voyager » ailleurs, mais elle ne peut entrer en relation avec des vivants. Les « expérienceurs » accèdent surtout à une autre réalité, supérieure, invisible à nos sens, où ils peuvent faire la rencontre de défunts et les identifier sans difficulté. La bilocation ne se voit que chez de rares mystiques dont les corps peuvent être aperçus à deux endroits différents au même moment, répondant à un appel et à une mission précise. Question complexe qui mériterait un long développement... dont je parlerai dans un prochain livre.

 

Que disent les EMI sur la vie après la mort ? Sur les fins dernières ? Sont-elles compatibles avec la théologie catholique sur ces questions ?

Les EMI nous apprennent beaucoup de choses ! Elles attestent (je pourrais dire « démontrent ») que notre vie ne s’arrête pas à la mort, qu’une Vie nous attend après, qui sera le prolongement de celle vécue sur terre, mais sublimée.

 

Vous avez rencontré personnellement nombre de témoins d’EMI depuis quelques années. Quel est votre récit préféré ?

Je n’en ai pas, je les aime tous. J’aime tout de même particulièrement l’histoire de Sana (qui est racontée ci-après). Dans mon prochain livre, j’en donnerai de nouvelles, dont deux, extraordinaires, chez des prématurés ! Et j’apporterai de nouveaux éléments confirmant ce que je dis ici.

 

Merci, cher Patrick Theillier, de vos éclairages passionnants sur ce sujet qui ne l’est pas moins.

Patrick Sbalchiero

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