L'élan de charité de l'Église : une raison de croire centrale
Alors que le monde propose des illusions de bonheur éphémères et décevantes à travers toute une série de fausses pistes comme le pouvoir, la luxure ou l’argent, l’homme, « image de Dieu » (Gn 3,27), est en profondeur fait pour aimer, être aimé et faire aimer.
Benoît XVI estimait que « l'impératif de l’amour du prochain est inscrit par le Créateur dans la nature même de l’homme », dans son encyclique Deus est caritas (no 31). La raison profonde de cette réalité est que « Dieu est amour » et que « celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu en lui » (1 Jn 4,8 ; 16). Nous sommes vraiment, à l’image du Dieu trinitaire, des êtres de relation, et nous le ressentons clairement si nous y réfléchissons quelque peu. Quand la charité se concrétise dans le monde, comme agapè, c’est-à-dire « amour de pur don », gratuit, quelque chose de Dieu se manifeste et attire. « Tu vois la Trinité quand tu vois la charité », écrivait saint Augustin1.
« Le coeur de l’Église est brûlant d’amour », s’émerveillait sainte Thérèse de l’Enfant Jésus en découvrant sa vocation. C’est en puisant à la source débordante de l’amour de Dieu que les « fleuves d’eau vive » jaillissent du coeur des croyants (Jn 7,38-39) et illuminent le monde en permettant à tous de toucher ce qu’il y a de plus profond dans le mystère de Dieu.
Comme saint Vincent de Paul et tant d’autres figures marquantes de la charité, Mère Teresa de Calcutta et ses soeurs ressentent profondément la nécessité de puiser leurs forces dans une grande intimité avec Dieu pour accomplir leur mission si rayonnante. Dans sa lettre pour le Carême 1996, la sainte écrivait à ses collaborateurs laïcs : « Nous avons besoin de ce lien intime avec Dieu dans notre vie quotidienne. Et comment pouvons-nous l’obtenir ? À travers la prière. »
« Le bon pasteur doit être enraciné dans la contemplation », ajoute le pape Grégoire le Grand2 pour être connecté à la source de la charité. Comme « Dieu nous a aimés le premier » (1 Jn 4,10), l’amour n’est plus seulement un commandement, mais il est la réponse au don par lequel Dieu vient à notre rencontre. « Nous avons reconnu l’amour de Dieu, et nous y avons cru », écrit saint Jean (1 Jn 4,16). C’est ainsi que le chrétien peut exprimer le choix fondamental de sa vie et susciter un dynamisme qui devient visible dans le monde.
En réalité, « toute l’activité de l’Église est l’expression d’un amour qui cherche le bien intégral de l’homme, poursuit Benoît XVI. Elle cherche son évangélisation par la Parole et par les Sacrements, entreprise bien souvent héroïque dans ses réalisations historiques ; et elle cherche sa promotion dans les différents domaines de la vie et de l’activité humaines […]. L’Église vit la dynamique de l’amour suscité par l’Esprit du Christ. Cet amour n’offre pas uniquement aux hommes une aide matérielle, mais également réconfort et soin de l’âme, aide souvent plus nécessaire que le soutien matériel » (no 19).
Thérèse l’exprime très clairement : « Je compris que l’Amour seul faisait agir les membres de l’Église, que si l’Amour venait à s’éteindre, les Apôtres n’annonceraient plus l’Évangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang… Je compris que l’Amour renfermait toutes les Vocations, que l’Amour était tout, qu’il embrassait tous les temps et tous les lieux… en un mot, qu’il est Éternel 3 ! » C’est ainsi que, depuis deux mille ans, l’Église pratique l’amour envers les veuves et les orphelins, envers les prisonniers, les malades et toutes les personnes qui, de quelque manière, sont dans le besoin. Elle le fait au même titre que le service des Sacrements et l’annonce de l’Évangile… et le monde le voit !
Tertullien (220 apr. J.-C.), dans son Apologie, raconte comment l’attention des chrétiens envers toutes les personnes dans le besoin suscitait l’émerveillement chez les païens4. Benoît XVI cite aussi l’exemple de Julien l’Apostat. Cet empereur, qui voulut combattre le christianisme et restaurer le paganisme, écrivit dans une de ses lettres que l’unique aspect qui le frappait dans le christianisme était l’activité caritative de l’Église. Il demanda ainsi à ses prêtres païens d’être attentifs à l’amour pour Dieu et le prochain : « C’est de cette manière, disait-il, que les "Galiléens" ont conquis leur popularité. »
Des saints comme Martin de Tours, François d’Assise, Ignace de Loyola, Jean de Dieu, Camille de Lellis, Louise de Marillac, Joseph Cottolengo, Jean Bosco, Louis Orione, pour ne citer que quelques noms, ont eu un rayonnement extraordinaire en étant des modèles insignes de charité sociale envers tous. Et le monachisme, de saint Antoine († 356) aux moines de Tibhirine († 1996), développera aussi un service de charité considérable avec de grandes structures d’accueil, d’assistance et de soin qui marqueront les foules.
Le Christ a agi et donné sa vie en incarnant cette priorité de l’amour et du don de soi qui portent du fruit, et ses disciples se sont souvenus de ses paroles : « Nul n’a de plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13) ; « Soyez un pour que le monde croie » (Jn 17,21) ; « À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13,35) ; « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12,32).
Comme le rappelle saint Paul, seul l’amour vécu en vérité conduit à la plénitude et à la connaissance réelle de Dieu : « Que le Christ habite en vos coeurs par la foi ; soyez enracinés, fondés dans l’amour. Ainsi, vous recevrez la force de comprendre, avec tous les saints, ce qu’est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur, vous connaîtrez l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance, et vous entrerez par votre plénitude dans toute la Plénitude de Dieu » (Ép 3,17-19).
----
1. De la Trinité, VIII, 8, 12.
2. Règle pastorale, II, 5.
3. OEuvres complètes, Manuscrit B, Cerf, Paris, 1996, p. 226.
4. Apologétique, 39, 7.
Olivier Bonnassies
Retour à l'accueil