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Edith Piaf, il était une voix

Édith Piaf (1915-1963) est une voix venue d’ailleurs, « chantant d’écho en écho », submergeant les frontières du temps et des coeurs. Des années après sa mort, cette voix façonnée par les faubourgs de Ménilmontant et de Pigalle continue de nous bouleverser, envoûtante et mystérieuse. La chanteuse fut souvent imitée, mais jamais égalée, car dans la voix d’Édith se trouve son âme, sa foi.

Edith Piaf après un concert en 1962 / © CC0 Wikimedia

À l’occasion des 60 ans de la mort d’Édith Piaf survenue le 10 octobre 1963, Pierre Fesquet, comédien et auteur d’un nouveau livre sur l’artiste, retrace la vie de cette femme de foi au destin extraordinaire. 

Piaf ne chantait pas, elle devenait son chant. Une incantation, entre Ciel et terre, qui fit le tour du monde et bouleversa les foules. « À chaque fois qu’elle chante, on dirait qu’elle arrache son âme pour la dernière fois », écrira son ami Jean Cocteau, poète et académicien, qui la rejoint dans l’éternité, à quelques heures d’écart, le 11 octobre 1963.

UNE GRANDE DÉVOTION À SAINTE THÉRÈSE DE LISIEUX

Dans les strates de cette voix magique se trouve la spiritualité d’Édith. « Si un jour je perdais la foi, je ne pourrais plus chanter », affirme-t-elle. À l’âge de trois ans, abandonnée par sa mère, mal soignée d’une kératite aiguë, elle perd quasiment la vue. Alors que les nombreux traitements pour la soigner restent vains, sa grand-mère et les « filles de joie » de la maison close où elle habitait décident d’emmener la petite pour un pèlerinage à Lisieux. C’est ainsi qu’elle retrouve la vue trois années plus tard, au terme de ce pèlerinage sur la tombe de sainte Thérèse.

Toute sa vie, Édith vénérera la petite Thérèse, portant autour du cou la médaille de la sainte, l’embrassant chaque soir avant d’entrer en scène. Sa dévotion ira jusqu’au choix de sa robe de scène, noire, sans artifice. Aux personnes qui l’interrogent sur cette sobriété scénique, elle répond : « Ma petite robe ? C’est comme le voile noir de sainte Thérèse. Il faut gagner comme elle ! La scène, c’est un champ clos. Je vais les pêcher comme Thérèse pêchait les âmes. » L’ouvrage Histoire d’une âme, de Thérèse de Lisieux, sera d’ailleurs son livre de chevet.

Plusieurs témoins affirment qu’Édith, au moment de son oraison, était entourée d’une odeur de rose envoyée du Ciel par sainte Thérèse dont Piaf était la cousine au septième degré. La petite sainte normande avait prophétisé : « Vous verrez, après ma mort, je ferai tomber une pluie de roses. » Édith reçoit ainsi une belle grâce parfumée, lors d’une prière à la sainte, avant un départ aux États-Unis, en 1948. À ses amis qui pensent qu’elle a cassé une bouteille de parfum à la rose, elle répond : « Bande de mécréants, c’est un signe de sainte Thérèse ! »

LA SOIF DE DIEU SE PERÇOIT DANS SON RÉPERTOIRE

Comment ne pas songer à sa Chanson bleue, un de ses titres favoris, dont elle a écrit ces paroles : « Quand Jésus est mort sur la Croix, il a souffert autant que toi. » Elle aimait aussi chanter dans Le Ciel est fermé : « Et voilà le Bon Dieu revenu. [...] Toute la terre tourne enfin sans trembler, et l’amour a poussé dans les champs, et les hommes le cueillaient en chantant. Les amants ne mourraient plus jamais, c’est pour ça que tout le monde s’aimait. »

Peu de gens savent à quel point la foi d’Édith Piaf la guidait au quotidien. Elle priait tous les soirs, à genoux au pied de son lit. Elle donnait des sommes d’argent importantes pour la restauration d’édifices religieux. Ce fut le cas dans le Lot, par exemple, où l’humble église de Gluges, sur la commune de Martel, est dédiée à l’Immaculée Conception pour qui la chanteuse avait une grande dévotion. Piaf aimait s’y recueillir. Un jour, elle y croisa l’abbé Delbos, curé du lieu, qui se plaignit du délabrement des vitraux. La chanteuse lui fit alors un don important pour le remplacement de ces derniers, mais lui demanda une condition, en retour : « Que personne ne le sache de mon vivant. » Promesse tenue : le curé n’en parla qu’après la mort d’Édith. La même chose se produisit en tournée en Corrèze, avec son ami le photographe Hugues Vassal. Près de Brive-la-Gaillarde, Édith entra dans une église délabrée dotée d’une jolie statue de Thérèse de Lisieux. C’est un signe pour Piaf ! Elle voulut que l’église soit reconstruite et offrit tous les cachets de la tournée pour la réfection du lieu de culte. Elle fera la même chose à New York, pour l’église Saint-Vincent-de-Paul.

AU SERVICE DES HUMBLES

Édith était aussi guidée par un devoir de charité. Elle n’avait pas oublié son enfance pauvre et aidait financièrement des personnes âgées ou des amis en difficulté matérielle. Proche des petits et des oubliés, Piaf sauva même un prêtre du suicide grâce à sa voix : l’abbé Martin, qui était monseigneur à titre honorifique. À la fin des années 1940, à Marseille, alors qu’il traverse une grave dépression, Martin songe au suicide. Mais une chanson et la voix de Piaf vont venir bouleverser sa décision d’en finir avec la vie. Sa foi, sa vocation sacerdotale et l’envie de vivre renaissent en même temps, ce jour où il est au plus mal, en écoutant la voix de Piaf ! L’abbé Martin veillera durant deux jours le corps d’Édith, qui s’éteint le 10 octobre 1963, en ayant, pour seul lit, un canapé du salon. La veille de son départ, les dernières paroles de la chanteuse entendues par son infirmière sont une prière qui commence ainsi : « Cher petit Jésus… »

Le communiqué de l’archevêché de Paris à l’occasion de la mort de Piaf tombe, lapidaire : « Si les honneurs que l’Église réserve à ses défunts ne peuvent lui être rendus en raison d’une situation irrégulière, l’aumônier de l’Union catholique viendra lundi au cimetière du Père-Lachaise prier sur la tombe de l’artiste. » Dans ses mémoires, Édith Piaf, le temps d’une vie, Marc Bonel, son accordéoniste, ne cache pas sa colère vis-à-vis du clergé de l’époque : « Elle ne méritait pas que l’archevêché lui ferme son sanctuaire et la voue aux enfers comme l’évêque Pierre Cauchon avait conduit Jeanne d’Arc au bûcher. Quelle honte pour ceux qui ont pris cette décision sans demander la permission à Celui qui, là-haut, avait déjà ouvert ses bras à Édith. » Le 14 octobre 1963, trois ecclésiastiques assurent l’absoute au cimetière : le père Leclerc, aumônier de l’Union catholique du théâtre et de la musique et aumônier de la prison de Fresnes, le père jésuite Thouvenin de Villaret, curé de la paroisse Saint-Honoré d’Eylau à Paris, et monseigneur Martin.

DEUX FEMMES, UN STYLE

Édith et Thérèse parlaient le même langage, quand elles évoquaient leur vocation dans l’éternité, leur future intercession. Dans une lettre envoyée aux siens, Thérèse parlait d’alouettes… de piafs ! « Ne croyez pas que, lorsque je serai au Ciel, je vous ferai tomber des alouettes rôties dans le bec. Vous aurez, peut-être, de grandes épreuves mais je vous enverrai des lumières qui vous les feront apprécier et aimer. » Leur style d’écriture se ressemblaient : « Je joue à la banque de l’amour, je joue gros jeu, si je perds, je verrai bien. » Cette phrase de Thérèse pourrait être de Piaf !

Alors que, sur la tombe d’Édith, des fleurs restèrent fraîches plusieurs semaines après l’enterrement, au grand étonnement de ses admirateurs, le même phénomène se produisit dans la loge d’un théâtre où des fleurs offertes à la chanteuse restèrent des années sans eau et furent découvertes pleines d’éclat !

« Jésus a voulu changer la manière de faire pousser sa petite fleur. Il la trouvait sans doute assez arrosée, car maintenant c’est le soleil qui la fait grandir », avait écrit Thérèse de Lisieux.

Pierre Fesquet, auteur de Piaf, un cri vers Dieu (Salvator, 2023)

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