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Saint Pier Giorgio Frassati, une vie marquée par les béatitudes

Il y a cent ans, le 4 juillet 1925, mourait à Turin un jeune Italien de 24 ans, Pier Giorgio Frassati. Le 3 août prochain, il sera proclamé saint à Rome au cours du Jubilé des adolescents.

Pier Giorgio Frassati, à St John Paul II Chapel, Mundelein / © CC0 Flickr

Son père le qualifiait d’« incapable » et sa mère de « raté » ; pourtant, une foule de pauvres gens est venue le pleurer avec amour à son enterrement. Si nous pouvions l’interviewer aujourd’hui, que nous dirait-il de lui-même ?

Pier Giorgio, tu es né dans une famille riche de la haute bourgeoisie italienne. Quelle enfance as-tu vécue ?
P. G. F. : Une enfance sévère et sans tendresse ! Je suis né un Samedi saint, jour du silence et de l’attente. Mon père Alfredo, journaliste et homme politique, dirigeait le grand quotidien La Stampa (« La Presse »). Ma mère Adélaïde était une artiste peintre renommée qui ne s’occupait pas de moi, me demandant juste d’être sage, calme et bien élevé. Heureusement, je trouvais en ma soeur Luciana, née un an après moi, une complice et une compagne de jeux. Et chez ma grand-mère maternelle à la campagne, j’ai découvert la joie et la liberté de vivre au grand air. J’aimais le vélo, le ski, la natation, les randonnées. Je ne partageais qu’une passion avec ma mère : la montagne. C’est avec elle que j’ai gravi mon premier sommet.

Comment as-tu découvert la foi ?
Mon père n’était pas croyant, tandis que ma mère observait les pratiques religieuses de façon scrupuleuse, mais sans amour. Elle m’a appris mes premières prières que je récitais matin et soir. Mon grand-père maternel m’emmenait visiter les malades. Ce fut pour moi une révélation : je voyais dans leurs yeux une lumière qui ne brillait pas ailleurs. Quand un pauvre sonnait à la porte, mon coeur se brisait de compassion et je refusais que les domestiques le renvoient les mains vides. J’aurais pu donner tout ce que j’avais. J’allais en classe chez les jésuites et ce fut à leur contact que la foi a pris une grande place dans mon coeur et dans ma vie. Du coup, ma mère m’en a retiré, de peur que je ne ressente un appel à devenir prêtre, et je fus scolarisé à la maison avec Luciana. C’était un prêtre salésien qui nous faisait cours. Je lui demandais après mes devoirs de me parler de Jésus. Il m’expliquait les Évangiles et mon coeur était plein de joie en l’écoutant. J’aimais réciter le chapelet et, sans me soucier du regard des autres, je faisais un grand signe de croix chaque fois que je passais devant une église. Quand je priais, je sentais que Jésus était en moi, il était mon amour. J’essayais d’aller à la messe chaque jour depuis ma première communion, quitte à sacrifier mes chères grasses matinées. J’ai également rejoint la Société Saint-Vincent-de-Paul au service des pauvres : le soir après mes cours à Polytechnique, je visitais des familles éprouvées par le deuil, la maladie, le chômage. J’essayais de leur apporter la lumière de Jésus.

Pourquoi cette devise : « Vers le haut ! » ?
Cette phrase invite à ne jamais s’arrêter en chemin, mais à chercher sans cesse à progresser. La montagne est un bon exemple ! Malgré mes difficultés scolaires, je souhaitais devenir ingénieur des Mines pour être au contact des ouvriers et leur annoncer discrètement, par mon exemple, la bonne nouvelle de l’Évangile. Le véritable bonheur de la vie terrestre consiste à rechercher la sainteté à laquelle nous sommes tous appelés. Avec mes amis, j’ai fondé la Compagnia dei Tipi Loschi, la « Compagnie des types louches », pour que nous gardions un lien quand la vie nous enverrait chacun suivre notre route.

Dès le début de ta vie de foi, tu as été nourri par les Évangiles. Que penses-tu de ce dossier sur la fiabilité des Évangiles ?
J’aimerais faire une comparaison avec le journal de mon père : tout article passe par le prisme du journaliste. Il en va de même pour les textes bibliques : les quatre évangélistes ont relaté les événements de la vie de Jésus avec tout ce qu’ils étaient. C’est pourquoi un même miracle ou enseignement de Jésus sera raconté différemment d’un Évangile à l’autre. Mais ce qui compte, c’est ce que l’Évangile nous transmet de la personne de Jésus, de son enseignement et de son amour pour nous. Car la Vérité n’est pas un amas de faits, la Vérité est une personne, c’est Jésus lui-même, car il nous dit : « Je suis la Vérité » (Jn 14,6).
Le pape Jean-Paul II m’a surnommé « l’homme des huit béatitudes », car je me suis efforcé d’accorder toute ma vie à l’Évangile, d’être pauvre de coeur, d’être un artisan de paix, d’être miséricordieux… J’ai connu l’incompréhension des miens jusque sur mon lit de mort, alors que personne ne s’apercevait que la polio allait m’emporter en six jours.

Comment as-tu pu être si aimé des pauvres gens, de tes amis et professeurs, et tellement incompris par ta famille ?
C’est un mystère que Jésus lui-même a vécu. Ne disait- il pas : « Nul n’est prophète en son pays » (Lc 4,24) ? Pour mes parents, j’étais têtu, paresseux, indiscipliné, dépensier… Quatre jours avant ma mort, tandis que la poliomyélite progressait et que la fièvre me brûlait, ma mère m’a reproché : « C’est à se demander si tu le fais exprès, tu n’es jamais là quand on a besoin de toi ! » Les familles que je visitais me voyaient comme quelqu’un de généreux, fidèle, attentif, débrouillard, trouvant toujours une solution. Je n’ai pas hésité à donner ma chemise à un chômeur qui devait passer un entretien d’embauche ou à offrir le matériel nécessaire à un vieillard pour qu’il s’installe comme marchand de glaces. La paix véritable naît de l’amour chrétien pour le prochain. Pour mes amis, j’étais exubérant, facétieux, bagarreur, au point qu’on m’offrait un caramel, afin d’avoir cinq minutes de tranquillité durant lesquelles je ne pouvais plus parler ! Mais dès que j’étais à la messe ou que nous récitions le chapelet, je devenais silencieux, recueilli, comme durant les nuits que je passais en prière sans qu’aucune circonstance parvienne à me distraire, pas même la cire chaude d’un cierge coulant sur mes mains jointes.

As-tu eu peur de la mort ?
Oh non ! Je pensais à la mort, mais sans frayeur. Avant chaque randonnée en montagne, j’allais me confesser et communier, au cas où il m’arriverait quelque chose, pour être prêt à me présenter devant Dieu. Quelques jours avant ma mort, alors que je ressentais dans mes muscles de vives douleurs qui m’empêchaient de rester immobile, j’ai rendu visite à plusieurs amis et je leur ai confié : « Si Dieu me rappelle à Lui, j’obéirai avec empressement. » Je disais souvent : « Le jour de ma mort sera le plus beau jour de ma vie. » Le 4 juillet, quand ma famille a compris que je vivais mes dernières heures, un prêtre est venu m’apporter la communion : « Giorgio, m’a-t-il dit, ton âme est belle. Jésus te veut avec lui. Jésus t’aime. » Le soir du 6 juillet, ma mort a été signalée par une simple annonce dans le journal. Aussi, quel ne fut pas l’étonnement de mes parents quand ils ont vu devant l’église une foule si nombreuse que la rue ne parvenait pas à la contenir. À chaque fenêtre, devant chaque porte, des gens pleuraient. Les trams se sont arrêtés. Mon cercueil a été porté par des dizaines de bras et, dans l’église, ce fut un défilé de centaines de personnes qui sont venues se recueillir en versant des larmes sincères. Un journaliste venu par hasard en fut vivement frappé : « Ce fut l’enterrement le plus émouvant et le plus édifiant auquel j’aie jamais assisté, le plus vivant, le plus chaleureux, le plus humain – je voudrais dire le plus beau. Je n’ai jamais vu, et je ne verrai jamais plus autant de larmes à un enterrement. »

Que veux-tu que nous retenions de ta vie, Pier Giorgio ?
Qu’il est important de ne pas vivre à moitié ! J’ai traversé une période de doutes. En cause : un amour non réciproque envers l’une des jeunes filles de notre groupe et le mariage de ma chère petite soeur Luciana, partie vivre à l’étranger. J’ai même cru que j’avais perdu la foi, tant l’angoisse et les ténèbres avaient envahi mon coeur. J’ai pensé que la vie ne valait pas la peine d’être vécue. Mais je me suis accroché à la volonté de Dieu, comme Jésus à l’heure de son agonie au jardin des Oliviers. Je répétais : « Si Dieu le veut, que sa sainte Volonté soit faite ! » Je me suis accroché à la foi sans plus rien ressentir : « Savoir juste dire : "Mais je crois…" » Et je suis sorti grandi et mûri de cette épreuve, avec une foi plus solide. Comme je le répétais à mes camarades : « C’est la foi qui permet d’être toujours joyeux. C’est elle qui nous relève, nous remet debout. » J’ai connu la période du fascisme en Italie. Aussi, je peux proclamer avec conviction : « L’avènement d’un monde meilleur ne pourra se faire qu’avec des valeurs élevées : la vérité, la justice, la paix, la liberté et l’amour. »
 

PIER GIORGIO EN QUELQUES DATES
  • 6 avril 1901 : naissance à Turin
  • 19 juin 1911 : première communion
  • 4 juillet 1925 : décès, à l’âge de 24 ans
  • 20 mai 1990 : béatification à Rome
  • 7 septembre 2025 : canonisation à Rome
  • 4 juillet : fête liturgique

Odile Haumonté, écrivain et journaliste, auteur de Saint Pier Giorgio Frassati, l’ange des pauvres (Téqui, nouvelle édition 2025).

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