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Le formidable élan de la reconstruction

Comme au Moyen Âge lorsque la France s’est couverte d’églises et de cathédrales, tout le peuple de France s’est rassemblé et mobilisé pendant cinq ans avec la volonté de rebâtir Notre-Dame, dans une unanimité étonnante qui dépassait tous les clivages.

© Magazine 1000 raisons de croire, n°6

Après l’incendie, grande fut la tentation de profiter des futurs travaux pour innover, mais c’est finalement – et heureusement – une restauration à l’identique qui a été retenue. De nombreuses forêts françaises ont donc été rapidement sollicitées, afin de fournir les chênes indispensables à la reconstruction de la flèche, du choeur et des deux bras du transept. Pas moins de 1 200 chênes auront été nécessaires pour reconstituer les charpentes du choeur et de la nef. Charpentiers et forestiers ont travaillé de concert sur le choix des arbres, afin de respecter les caractéristiques assez spécifiques demandées (il fallait, par exemple, des arbres de 14 mètres de long mais n’excédant pas 40 centimètres de diamètre), tout en prenant garde de prélever le « bois d’avenir » (les arbres ayant vocation à grandir avant d’être coupés dans plusieurs années).

Pour reconstituer la charpente à chevron détruite dans l’incendie, le traitement du bois a été fait de manière traditionnelle (équarrissage de bois vert à la hache, taille manuelle des chevilles, etc.). Quelques compagnons sont encore dépositaires de ces savoir-faire datant du Moyen Âge, ce qui a permis à un groupement d’ateliers de relever le défi !

 

À L’IDENTIQUE, EN MIEUX !

La flèche, qui mesure 96 mètres, a retrouvé sa place dans le ciel de Paris. « On n’avait pas construit de flèche en bois culminant à 100 mètres de haut depuis Viollet-le-Duc. [...] On a prouvé que c’était encore possible. Nous pouvons collectivement être fiers », expliquait Philippe Jost – nommé en 2023 président de l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris – dans un article pour La Croix LʼHebdo paru le 6 septembre dernier. Conformément au dessin originel de Viollet-le-Duc, la flèche est surmontée d’une couronne et d’une croix dorées. Sa charpente qui s’élève au-dessus de la croisée du transept est un enchevêtrement complexe d’environ mille pièces de bois, et l’échafaudage pour permettre son montage pesait pas moins de 600 tonnes sur 48 niveaux.

Les huit cloches en bronze du beffroi nord qui avait été partiellement atteint par les flammes ont, quant à elles, été confiées à la fonderie Cornille-Havard (Normandie) en juillet 2023. Installées à l’occasion du 850e anniversaire de la cathédrale (2012-2013), ces cloches ont été nettoyées et révisées ; deux d’entre elles, endommagées par la chaleur, ont eu besoin d’être restaurées. Elles ont retrouvé leur place dans la cathédrale à l’automne 2024 pour sonner sa réouverture.

Si le grand orgue n’a pas été inquiété directement par les flammes de l’incendie, les poussières et les variations thermiques ont tout de même éprouvé l’instrument. Trois ateliers de facteurs d’orgue situés en Corrèze, dans l’Hérault et le Vaucluse ont effectué le nettoyage des 8 000 tuyaux qui le composent en 2021 et 2022, tandis que le reste (soufflets, buffet et façade) ont été restauré in situ. La repose instrumentale a débuté en janvier 2024 et consiste à replacer un à un les tuyaux en les harmonisant au fur et à mesure. Cet orgue symphonique, un chef-d’oeuvre d’Aristide Cavaillé-Coll datant de 1733, continuera donc d’être la voix de la cathédrale.

Il a fallu aussi remplacer le mobilier liturgique disparu dans l'incendie. Autel, ambon, cathèdre, tabernacle et baptistère ont ainsi été choisis par l’archevêque de Paris, Mgr Ulrich, épaulé par un comité artistique et toutefois soumis à un cahier des charges bien particulier : il était en effet nécessaire de prendre en compte la dimension sacrée de l’objet et de sa vocation à servir la beauté de la vie liturgique, tout en évoquant le mystère de Dieu et en respectant un héritage pluriséculaire.

Dans le journal de la reconstruction la Fabrique de Notre-Dame, Guillaume Bardet, designer et sculpteur de l’autel et du baptistère, explique : « J’ai fait un travail autour de l’immuable. Ce qui m’intéresse est d’essayer que les pièces puissent exister à toute époque. » Mgr Ulrich, très satisfait, qualifie le résultat de « noble simplicité ». Un nouveau reliquaire sera aussi installé au centre de la cathédrale, alors qu’auparavant, il n’était possible de vénérer la Couronne d’épines que les vendredis ou pendant le Carême.

Le programme de restauration de la cathédrale va au-delà de la stricte réparation des dégâts. Si les vitraux n’ont pas été détruits par l’incendie, la plupart d’entre eux, déjà empoussiérés, ont été fortement encrassés par les cendres et les fumées. Récemment astiqués, ils ont gagné en transparence. Les pierres intérieures ont aussi été nettoyées lorsqu’elles n’ont pas été remplacées par des pierres neuves. Les décors des chapelles peintes ont été ravivés. Ce travail approfondi a dévoilé des couleurs, une lumière et la blondeur de la pierre que personne n’avait vues depuis des siècles ! Notre-Dame va vivre une vraie résurrection : elle sera pratiquement identique, mais plus lumineuse, et plus resplendissante. « Nous pouvons dire avec certitude que la cathédrale sera plus belle qu’avant », affirmait ainsi Philippe Jost dans le magazine la Fabrique de Notre-Dame (n° 7 de juillet 2024).

 

UNE COLLABORATION PARFAITE

Un tel chantier a mobilisé quantité d’entreprises (aussi bien de gros groupes que des PME et des artisans d’art), venues de toute la France, et une grande diversité de métiers et de savoir-faire : maçons-tailleurs de pierre, restaurateurs de peintures murales et de sculptures, maîtres-verriers, ferronniers d’art, charpentiers, couvreurs, grutiers, échafaudeurs, etc. Plus de mille ouvriers, compagnons, artisans d’art et encadrants ont effectué un travail titanesque pour la reconstruction de ce monument unique, qui témoigne non seulement de l’importance de préserver le patrimoine, mais aussi de l’excellence du savoir-faire français en matière de restauration d’oeuvres d’art historiques. La collaboration est toujours centrale sur un chantier, a fortiori lorsqu’il est d’une telle envergure. Philippe Jost explique ainsi dans La Croix LʼHebdo : « Beaucoup d’intervenants sur le chantier sont musulmans, ils sont sensibles à la beauté et au sens de cette cathédrale, lieu de prière et de culte, dédiée à la Vierge Marie. Et tout le monde vit ensemble, dans l’unité, la fierté et la cohésion. » Du fait du nombre considérable d’acteurs, il fallait bien sûr une organisation exigeante. Mitchell, l’un des tailleurs de pierre du chantier, explique que les charpentiers, les vitraillistes et les tailleurs de pierre dépendent les uns des autres dans la réalisation de leurs travaux respectifs. Les moyens de levage et d’accès sont collectifs pour tous les acteurs du chantier. « Un bon exemple de coordination nécessaire pour l’avancement des travaux est la planification qui entoure les grues et leurs disponibilités, note l’ouvrier. Comme elles permettent de manoeuvrer des charges importantes, elles jouent un rôle capital dans le bon avancement du chantier pour chaque entreprise. »

Le défi que présente la logistique n’est pas des moindres. Une fois confectionnées dans des ateliers situés aux quatre coins de France, des pièces de dimension impressionnante (allant jusqu’à 15 mètres de large pour 12 mètres de haut) ont dû être transportées jusqu’au coeur de Paris. Certaines d’entre elles ont été acheminées par voie fluviale, en étant ingénieusement passées sous les ponts dans une barge de 80 mètres de long conçue à cet effet.

De plus, étant donné la localisation de la cathédrale sur l’île de la Cité, la superficie du chantier était particulièrement restreinte. Cela impliquait une capacité de stockage très réduite qui obligeait par exemple à faire livrer les matériaux en plusieurs fois, au fur et à mesure de leur utilisation. Briac, ingénieur travaux pour l’entreprise de rénovation de pierres Lefèvre, souligne que l’ampleur du chantier, tant en termes humains que matériels, n’a pas dégradé le niveau d’organisation globale. « En amont de la reconstruction, il y a eu beaucoup de réflexion et d’anticipation pour que le chantier se déroule de la façon la plus lisse et efficace possible, malgré sa complexité. C’est très réussi : il a été particulièrement agréable de travailler sur le chantier de Notre-Dame. »

 

SYMBOLE DE NOTRE ATTACHEMENT À LA FRANCE ET À MARIE

La reconstruction a été rendue possible grâce aux dons qui ont afflué du monde entier. Selon la Cour des comptes, le budget prévisionnel des travaux entrepris depuis l’incendie s’élève à plus de 700 millions d’euros. « On a eu tout de suite les grands donateurs qui se sont manifestés, comme M. François Pinault, qui a proposé 100 millions d’euros, ainsi que M. Bernard Arnault, 200 millions d’euros. Sans les grands donateurs, on n’aurait jamais pu restaurer NotreDame », témoigne Mgr Aupetit, archevêque émérite de Paris, avant d’ajouter : « Cependant, il ne faut pas oublier tous les petits donateurs. Un garçon de quatre ans m’a un jour arrêté dans la rue et m’a demandé : "Monseigneur, as-tu bien reçu mon euro ?" J’ai répondu : "Oui, c’est magnifique !" »

Le montant total des dons s’élève à près de 850 millions d’euros, provenant de 340 000 donateurs, issus de 150 pays. À cela s’ajoutent des dons en nature et en mécénat de compétence pour une valeur d’au moins 5 millions d’euros.

Ces dons très nombreux témoignent de l’émotion intense qu’a suscitée l’incendie. D’ailleurs, pour beaucoup, contribuer financièrement ne suffisait pas : il fallait aussi écrire, pour raconter ce qui nous lie à ce fameux monument qui accueille chaque année plus de 12 millions de visiteurs. Ainsi, les dons ont été accompagnés le plus souvent de quelques mots. « Je pense que personne n’avait idée à quel point les Français et les étrangers étaient attachés à la cathédrale. Au téléphone, les donateurs avaient besoin de parler […]. Certains étaient au bord des larmes », se souvient Ségolène Stutz, alors stagiaire à la Fondation Notre- Dame dans le journal la Fabrique de Notre- Dame.

« La cathédrale Notre-Dame symbolise le lien unique entre la France et Marie, explique Mgr Aupetit. De là vient une alchimie vraiment particulière qui a déclenché une émotion incroyable chez des millions de gens, même des athées ou des laïcs militants. » La Vierge est en effet présente en filigrane à plusieurs moments de l’histoire de la France, et c’est dans cette mesure que l’identité de notre pays est sans aucun doute liée à Marie. Mgr Aupetit ajoute : « Marie est celle qui nous donne le Christ, celle qui porte la vie organique, qui fascine l’homme depuis toujours et celle par qui la vie éternelle nous est donnée. Elle est un symbole extraordinaire. Et c’est notre attachement à elle qui a été mis à mal lorsque la cathédrale a brûlé. »

Solveig Parent

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