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Jésus parle aux Juifs d'aujourd'hui

À l’image du patriarche Joseph, il attend le moment où il pourra se révéler dans les larmes à tous ses frères juifs.

Christ en croix / © CC0.

Entretien d’Olivier Bonnassies avec Josué Turnil, le responsable en France de l’association Juifs pour Jésus, active dans plusieurs pays, sur ces liens étonnants qui unissent les juifs, les chrétiens et Jésus-Christ.

Olivier Bonnassies : Saint Paul et les apôtres « démontraient par les Écritures que Jésus est le Messie » (Ac 18,28). L’Évangile de Matthieu, en particulier, s’adresse aux juifs et met en rapport les paroles et les actes de Jésus avec les prophéties d’Israël. Depuis, quantité d’études (Paul Drach, Brierre-Narbonne, etc.) ont bien montré que le Christ accomplit les Écritures comme l’attendait la tradition juive. Même s’il y a de plus en plus de juifs messianiques, comment expliquer que beaucoup de juifs ne reconnaissent pas Jésus comme étant le Messie d’Israël ?

 

L’OBSTACLE DE L’IDENTITÉ JUIVE

Josué Turnil : Il y a plusieurs obstacles à la reconnaissance de Jésus par les juifs d’aujourd’hui. Le premier et plus important n’est pas d’ordre théologique : il s’agit de l’idée profondément ancrée dans les mentalités qu’un juif ne peut pas être chrétien. Or, on ne peut pas nier son être, c’est existentiel. Je ne peux pas, Olivier, te demander d’arrêter d’être Français : si je te dis que tu es Chinois, tu ne me croiras pas. C’est pareil pour nous. Beaucoup nous disent : « Si tu es devenu chrétien, prouve-le en mangeant un jambon-beurre ! » Mais ce n’est pas possible. Il y a des ancrages profonds, inscrits dans nos gènes. Le cardinal Lustiger a vécu les mêmes choses : il a demandé dans son testament que l’on dépose sur son cercueil de la terre d’Israël et il a prié son cousin germain de réciter le kaddish, la prière juive pour les morts, à son enterrement, sur le parvis de Notre-Dame, devant 2 000 personnes. Elie Wiesel, ami du cardinal, explique dans son livre Tous les fleuves vont à la mer que Jean-Marie Lustiger lui parlait en yiddish et que ça l’énervait : « Ok, tu crois en Jésus, mais arrête de te dire juif ! » Pourtant, sur son tombeau, Jean-Marie Lustiger a voulu qu’on écrive : « Je suis né juif. J’ai reçu le nom de mon grand-père paternel, Aron. Devenu chrétien par la foi et le baptême, je suis demeuré juif comme le demeuraient les apôtres. » C’est exactement cela. Il était à la fois juif et chrétien, comme nous : pour certains, il semble y avoir une contradiction, mais il n’y en a pas, car être juif est une identité liée à la lignée, à la culture, à un peuple et non à une religion seulement. C’est différent du christianisme. Être né de parents juifs te rend juif, alors qu’être né de parents chrétiens ne te rend pas chrétien. Pour être chrétien, il faut naître de nouveau et rencontrer le Christ, et cela peut se faire dans tous les peuples. Une amie juive qui était présente à l’enterrement du cardinal m’a dit : « Il a franchi une barrière que je ne savais pas être possible : il nous a laissé la voie ouverte. » Il est en effet essentiel d’exprimer que l’on peut garder son identité juive en reconnaissant Jésus comme le Messie d’Israël.

Olivier Bonnassies : Effectivement. D’ailleurs, tous les premiers chrétiens étaient juifs : Jésus, Marie, les apôtres, les disciples, de même que tous leurs amis et tous leurs opposants. Le christianisme est né du judaïsme… Mais on comprend qu’après des siècles d’opposition, le poids du ressenti soit un obstacle. Y en a-t-il d’autres ?

 

L’OBSTACLE DE LA SHOAH

Josué Turnil : Oui. Le deuxième obstacle à la reconnaissance de Jésus, c’est la Shoah. Si 6 millions de Juifs, dont 1,8 million d’enfants, sont morts, c’est la faute de Jésus ! C’est ressenti comme ça. Car dans l’histoire, le christianisme a persécuté les juifs, avec notamment les pogroms, l’inquisition espagnole, les croisades, Luther, etc. Et les nazis, qui avaient sur leurs ceinturons l’inscription « Gott mit uns » (« Dieu avec nous »), rentraient chez eux pour fêter Noël ou Pâques. Même si cette grosse confusion n’a pas lieu d’être, certaines choses ne peuvent pas être défaites seulement par des mots ou des raisonnements. Il faut du temps et des actes pour guérir de ce traumatisme culturel, identitaire, historique, qui touche des couches profondes très difficiles à faire bouger. Tout cela pose d’autres questions : où était Dieu pendant la Shoah ? Beaucoup de juifs sont devenus athées à cause de la Shoah. C’est une objection majeure : comment croire à ce Dieu qui nous aime, qui a fait alliance avec notre peuple, après cela ? Pourquoi tant de souffrance dans le monde ? Seule la Croix peut donner un sens…

 

LES OBJECTIONS PLUS LÉGÈRES AU NIVEAU DE LA PENSÉE OU DE LA THÉOLOGIE

Il y a eu dans le passé des « disputationes » entre juifs et chrétiens, comme celle de Barcelone entre Pablo Cristiani, un moine juif converti au Christ, qui avait rejeté ses racines, et Nahmanides, l’un des plus grands rabbins de cette époque, véritable âge d’or des juifs en Espagne. L’objection principale était que le Messie est appelé « Prince de la paix » (Is 9,5) : or, si Jésus est bien le Messie, où est donc la paix ? Il ne semble pas y avoir les fruits d’une ère messianique. Mais cette objection intéressante relève d’une logique circulaire. Jésus a dit « je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée » (Mt 10,34), parce qu’il est venu contester les structures et cohésions sociales des sociétés qui ne sont pas bâties sur la Bible. Il a dit aussi « je vous laisse la paix, je vous donne ma paix », mais « pas à la manière du monde » (Jn 14,27), car il est venu faire la paix entre nous et Dieu, en lui qui est « notre paix » (Ép 2,14). Nous devons reconnaître que nous sommes en guerre avec Dieu et que c’est cette paix-là que nous devons d’abord chercher. Jésus nous offre la paix qui permet de surmonter nos souffrances, nos inquiétudes, notre manque de paix par une réponse vraie, forte, substantielle. Enfin, comme l’explique bien Michael Brown, les prophéties messianiques, qui concernent le monde entier, s’accomplissent d’une manière dynamique, dans une évolution et une croissance exponentielles, comme un verre qui se remplit. Bien sûr qu’à la fin, « le loup et l’agneau auront même pâture » (Is 65,25), mais en attendant, il faut d’abord faire la paix avec Dieu. Et c’est cela que Jésus est venu nous offrir. On peut aussi apporter des réponses à toutes les objections intellectuelles, théologiques ou bibliques et développer une argumentation convaincante, comme tu l’as fait dans la vidéo sur le Messie de la chaîne YouTube Marie de Nazareth, mais attention : peu importe la réponse rationnelle si les couches profondes ne sont pas guéries. Avec le mouvement des Juifs pour Jésus, nous aidons à convaincre ceux qui croient au Christ qu’ils ne se sont pas trompés, qu’ils ont fondé leur adhésion au Messie sur le roc de la Torah et qu’ils n’ont pas trahi Abraham, Moïse, David et tous les prophètes avec Jésus. C’est ce que répond Paul quand il est accusé : « Je n’ai rien dit en dehors de ce que les prophètes et Moïse avaient prédit » (Ac 26,22). Si Jésus est le Christ des nations, il est d’abord le Messie d’Israël. Et c’est en tant que Messie d’Israël qu’il est le Christ des nations.

 

LE PATRIARCHE JOSEPH EST L’IMAGE DE JÉSUS QUI VEUT SE RÉVÉLER À SES FRÈRES

Il y a un passage dans le Midrash (ensemble des interprétations de la Bible hébraïque par les rabbins) qui dit : « Le jour où Israël va rencontrer l’Éternel, il dira en pleurant comme le patriarche Joseph "je suis Hashem, je suis Hashem, votre Dieu". » Pourquoi les fils d’Israël n’ont-ils pas reconnu leur frère Joseph quand ils se sont rendus en Égypte (Gn 42,8) ? Parce qu’avec le temps, il avait changé. Il était habillé comme un dieu égyptien : crâne rasé, torse nu, tunique de lin, jupe, sandales, il ne mangeait pas casher, il parlait égyptien. Les fils de Jacob ont vu un Égyptien puissant et l’on dit que, quand Joseph a voulu se révéler à eux (Gn 45,4-15), ils ne le crurent pas. Il leur a parlé en hébreu, mais ils étaient incrédules. L’histoire rapporte que Joseph est allé jusqu’à soulever sa jupe pour montrer qu’il était circoncis. Jésus, dans ses représentations courantes, est un peu perçu comme cela aujourd’hui par les juifs. Il leur semble une figure totalement étrangère, hellénisée, qui n’a rien à voir avec eux. Ils ne reconnaissent aucune identité juive en Jésus, mais il est pourtant bien leur frère, il veut les retrouver comme Joseph et sangloter en leur disant : « Je suis ton Dieu. »

 

DE TOUT TEMPS, DES JUIFS SE SONT TOURNÉS VERS JÉSUS

Au début, le christianisme est une affaire interne au judaïsme. Puis, dans chaque génération de juifs, il y a toujours eu des croyants en Jésus, du Ier siècle à nos jours. Une multitude de juifs ont cru en Jésus, à commencer par les apôtres, les disciples, les 500 témoins de la Résurrection (1 Co 15,6), les « dizaines de milliers de juifs qui ont cru et qui sont tous zélés pour la Loi » (Ac 21,20) et « même parmi les chefs, beaucoup crurent en lui », même si « à cause des pharisiens, ils ne le déclaraient pas publiquement, de peur d’être exclus de la synagogue » (Jn 12,42). Le grand Gamaliel lui-même, cité dans le Talmud, a défendu les chrétiens (Ac 5,34). Mais le rejet final des souverains sacrificateurs, comme tous nos rejets d’ailleurs, font partie du plan de Dieu : nous sommes tous sur le même chemin, tous en guerre contre Dieu, et nous devons tous nous repentir et faire appel au Christ. Car « Dieu a enfermé tout le monde dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde » (Rm 11,32). Le Christ meurt pour les gens qui le clouent à la Croix. Comme le patriarche Joseph, le mal qui lui a été fait, il l’a « tourné en bien » (Gn 50,20) pour sauver le monde entier.

Olivier Bonnassies : Impossible de dire « les juifs ont tué le Christ »…

Josué Turnil : Ce serait une perversion antisémite et antichrétienne ! Pourquoi ? Parce que Jésus dit : « Le Père m’aime car j’ai le pouvoir de donner ma vie et le pouvoir de la reprendre » (Jn 10,17) et « Ma vie, personne ne la prend, c’est moi qui la donne » (Jn 10,18). Penser que certains ont tué Jésus et que nous ne sommes pas tous coupables est une perversion. L’inverse de l’Évangile.

Olivier Bonnassies : Le catéchisme du concile de Trente publié en 1566 disait effectivement en ce sens : « Il faut le reconnaître, notre crime à nous est plus grand que celui des Juifs. Car eux, au témoignage de l’Apôtre (1 Co 2,8), s’ils avaient connu le Roi de gloire, ils ne l’auraient jamais crucifié. Nous, au contraire, nous faisons profession de le connaître. Et lorsque nous le renions par nos actes, nous portons en quelque sorte sur lui nos mains déicides » (1re partie, chap. 5, § 3).

Josué Turnil : Oui, mais ce n’est malheureusement pas entré dans la conscience collective. Saint Jean dit de même : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous égarons nous-mêmes et la vérité n’est pas en nous » (1 Jn 1,8). Pourquoi donc juger les autres et pourquoi avoir culpabilisé le peuple juif ? Cette perversion du message n’a eu que des mauvais fruits : elle a bloqué les juifs, égaré les nations et conduit à la persécution et aux meurtres qui pèsent encore aujourd’hui.

 

ISRAËL NE PEUT PAS VIVRE SANS LE TEMPLE, MAIS JÉSUS EST LE NOUVEAU TEMPLE

Les rabbins enseignent que le Temple fut détruit parce que les juifs se parlaient mal entre eux. Ils calomniaient et maudissaient. L’Alliance a été brisée, Dieu a retiré sa protection et le peuple juif est devenu une proie facile, même si Dieu jugera les nations qui le détruisent. Or, sans le Temple, bibliquement parlant, il n’y a pas de moyen de rencontrer Dieu. Nous sommes en temps de séparation. Mais Jésus a dit « détruisez ce Temple et, en trois jours, je le relèverai » (Jn 2,19) tout en se déclarant « plus grand que le Temple » (Mt 12,16). C’est lui la solution. Dans le monde ancien, il n’y avait que le Temple de Jérusalem pour communiquer avec Dieu, et ce n’est pas par accident qu’il a été détruit. C’était le plan de Dieu. Aujourd’hui, dans son immense grâce, Dieu ne laisse qu’une porte ouverte en la personne de Jésus, seul moyen par lequel nous pouvons communiquer avec lui. On prie à la synagogue en demandant que Dieu rebâtisse le Temple, parce qu’il est nécessaire.

 

TOUT ÉTAIT ANNONCÉ, Y COMPRIS LE MYSTÈRE DE LA TRINITÉ RÉVÉLÉ PAR LE MESSIE

Olivier Bonnassies : Plusieurs livres publiés par les juifs messianiques montrent bien comment le mystère d’un Dieu un et trois est suggéré dans de nombreux textes bibliques ; la tradition juive a elle aussi des textes extraordinaires évoquant le mystère de Dieu dans un sens très proche de la Trinité révélée plus tard. Par exemple : « Comment les trois peuvent-ils être UN ? Sont-ils vraiment UN, parce que nous les appelons UN ? Ce mystère ne peut être compris que par la révélation du Saint-Esprit » (Zohar, III, Exodus 43b).

Josué Turnil : Les traductions de la Bible hébraïque en araméen (targoums) parlent aussi de différentes puissances dans le Ciel : « Dieu », la « Parole de Dieu » ou « l’Ange de l’Alliance », « l’Esprit de Dieu », etc. Ces éléments linguistiques ne sont pas des preuves, mais ils se combinent à d’autres approches pour donner un éclairage très intéressant et très fort sur cette question essentielle qui mériterait plus de place dans un prochain numéro.

Olivier Bonnassies : Très bonne idée, je note ! En attendant, bravo à toi et à tous ces juifs qui trouvent le Messie d’Israël en s’engageant, en le cherchant et en ouvrant leur coeur au Dieu de miséricorde !

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