Religion   Grands reportages   Guérisons 

Lourdes, chemin de guérison intérieure

© Marie-Ève Bourgois

Fin septembre, le spectacle musical Bernadette de Lourdes triomphait à Paris. Rien d’étonnant, car dans l’imaginaire collectif, Lourdes est synonyme de miracles. Le dernier en date concerne soeur Bernadette Moriau en 2008, qui souffrait depuis de nombreuses années de la colonne vertébrale. Étudiée pendant 10 ans par plus de 300 médecins, croyants ou non, sa guérison a été officiellement authentifiée le 11 février 2018. Au total, 70 miracles ont été reconnus depuis 1858 – année des apparitions de la Vierge Marie à la petite Bernadette – et plus de 7 500 dossiers de guérisons « inexpliquées » ont été à ce jour déposés au Bureau des constatations médicales du sanctuaire. Mais au-delà des guérisons physiques, Lourdes est un lieu extraordinaire où de très nombreux pèlerins obtiennent chaque jour des grâces intérieures.

À 50 ans, Nathalie est venue à Lourdes remercier Dieu pour la naissance de son enfant qu’elle avait désiré et attendu pendant de nombreuses années. Une promesse qu’elle tardait à honorer, prise par le tourbillon de la vie, par des choses plus urgentes, jugées plus importantes. Après une première journée passée à prier et à visiter le sanctuaire, elle décide le lendemain de rencontrer un prêtre et de se confesser. Un moment que, sans le savoir, elle attendait depuis longtemps. Après s’être purifiée à la fontaine à la demande du prêtre comme Bernadette avant elle, elle se confie sur ce qu’elle vient de vivre. Un immense sourire illumine son visage. « J’ai compris le sens du mot “miséricorde”, enfin ! J’avais peur du Jugement, de l’enfer, mais j’ai compris que ce qui compte vraiment, c’est l’amour de Dieu. Et pour la première fois de ma vie, j’aime Marie. Avant, je ne la comprenais pas, son histoire de virginité me semblait absurde. Mais aujourd’hui, elle m’est apparue dans mon coeur, je l’ai vue pour la première fois et on s’est parlé de maman à maman. » Elle déclare avoir vécu sa journée de la veille, comme une « touriste pétrie d’orgueil », malgré les prières, malgré la montée des marches du chemin de croix sur les genoux ; malgré elle. « Aujourd’hui, je suis dans la foi, je suis là avec le coeur. » Une conversion comme le père Krzysztof, prêtre missionnaire oblat de Marie Immaculée, en a souvent été témoin.

 

Guérir l'âme

Après 20 ans passés au Cameroun au service de Marie, ce Polonais d’origine a été guidé jusqu’à Lourdes qu’il connaissait à peine. Très impressionné par omni / l’omniprésence des malades dans le sanctuaire, il a cherché à comprendre le message du lieu. Il découvre alors : « La Vierge Marie a dit à Bernadette de prier pour la conversion des pécheurs, pas pour la guérison des malades, mais pour la conversion des pécheurs. » En approfondissant sa réflexion, ce chapelain à Lourdes depuis maintenant quatre ans redécouvre également un passage de l’Évangile à la lumière de l’histoire du sanctuaire : « Qu’est-ce qui est le plus facile ? Dire à ce paralysé : “Tes péchés sont pardonnés”, ou bien lui dire : “Lève-toi, prends ton brancard et marche” ? Eh bien ! Pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a autorité pour pardonner les péchés sur la terre… – Jésus s’adressa au paralysé – je te le dis, lève-toi, prends ton brancard, et rentre dans ta “maison” » (Mc 2, 9-11). Dans un français impeccable, le père expose ainsi sa pensée : « Il y a eu ici 70 miracles de guérison pour que nous comprenions que Jésus a le pouvoir de pardonner nos péchés. À Lourdes, Jésus veut guérir notre âme, et pour que nous soyons informés de sa volonté, il permet des miracles visibles de tous. »

Le père Krzysztof se souvient d’une dame magnétiseuse qui s’est retrouvée à Lourdes, par hasard, en voyant un panneau autoroutier. Pendant trois ou quatre jours, elle résiste à l’appel qu’elle ressent au fond d’elle, mais elle finit par se laisser tenter et fait demi-tour pour visiter cette petite ville des Hautes-Pyrénées. À peine arrivée, elle croise le père épuisé par une longue et chaude journée d’été et lui demande une explication sur ce lieu. « Je me sentais trop petit pour lui répondre, alors je lui ai demandé d’aller poser la question à Dieu et à la Vierge Marie à la grotte. » La rencontre prend fin. Une semaine ou deux plus tard, cette dame revient et interpelle de nouveau le père qu’elle croise à la porte Saint-Joseph. « Elle était revenue avec ses deux filles adolescentes, car elle avait vécu quelque chose de tellement important qu’elle voulait le partager. Cette dame qui était très loin de l’Église, pas baptisée, avait été saisie par la grâce de Lourdes. » Le père se souvient aussi vivement d’une autre dame polonaise qui lui avait confié qu’à la grotte, lorsqu’elle avait prié devant la Sainte Vierge, elle avait tout oublié : l’alcoolisme de son mari, l’absence de foi de ses enfants, sa propre maladie. « Finalement, c’est ce que la Sainte Vierge nous dit à travers Bernadette : “Je ne vous promets pas le bonheur de ce monde, mais de l’autre.” »

2,5 millions de visiteurs en 2022

La Sainte Vierge. Sans elle, Lourdes ne serait pas ce lieu incroyable de grâces. Ce n’est ni le Pape, ni l’Église, mais elle, qui a voulu accueillir les pèlerins en demandant à la jeune Bernadette : « Allez dire aux prêtres de faire bâtir une chapelle et qu’on y vienne en procession. » Ce message a été entendu par 2,5 millions de personnes venues du monde entier l’an dernier. L’équipe du sanctuaire espère en avoir accueilli un million de plus cette année. Parmi les pèlerins, Mayumi, une Philippine d’une soixantaine d’années qui, après sa troisième visite à Lourdes en 2016, a retrouvé une bonne vue. « À Dieu, tout est possible, déclare-t-elle. C’est la quatrième fois que nous venons ici en famille et, à chaque fois, nous avons le sentiment de vivre une expérience unique, nous venons remercier la Vierge Marie et Jésus qui ne nous abandonnent jamais. »

Dans le sanctuaire, on croise évidemment beaucoup de personnes malades qui souhaitent être soulagées. Mais il y a aussi tous ceux qui donnent de leur temps pour les accompagner pendant un pèlerinage qui représente, pour la grande majorité, une semaine de vacances en retrait des soucis du quotidien. Les hospitalières et les brancardiers doivent eux-mêmes financer leur séjour et prendre une semaine de congés s’ils sont encore en activité professionnelle. Ceux qui sont là le veulent vraiment. Comme Isabelle, membre de l’hospitalité lyonnaise depuis 14 ans, rencontrée un soir après une journée de plus de 12 heures au service de l’autre. « J’ai un fils militaire qui, tous les ans depuis des années, me demandait de lui ramener un chapelet de Lourdes, sans que je comprenne bien pourquoi, ça m’étonnait. Puis il y a quelques années, au Mali, il a reçu quatre balles dans le corps, se souvient-elle le visage baigné de larmes. Il avait son chapelet sur lui. La Sainte Vierge l’a protégé et aujourd’hui, il va bien. Continuer à venir ici chaque année, c’est une manière de la remercier. » Les hospitalières sont cette semaine accompagnées par des lycéens en classe de seconde, du diocèse de Lyon. Habituées de ces séjours, elles remarquent des jeunes bouleversés de passer du temps à servir les plus faibles et qui, même éloignés de la foi, pleurent à l’idée de la séparation qui les attend. Elles racontent aussi ces malades qui arrivent chaque année à Lourdes le visage fermé, le coeur lourd et qui repartent allégés et heureux. « Les guérisons intérieures, les gens ne les partagent pas forcément, reconnaît Martine, la soixantaine, responsable des hospitalières lyonnaises. Mais il se passe vraiment des choses incroyables ici, c’est certain. Il y a des miracles. » Depuis plus de 15 ans, dans une robe bleu marine sous un tablier blanc, elle est « en service » à Lourdes. Elle écoute, elle nourrit, elle promène, elle tient les mains. « Comme Jésus, quelle que soit notre classe sociale ou notre chemin de foi, on se met à genoux devant les malades », confie-t-elle. Brigitte, une autre hospitalière, est arrivée ici un peu par hasard en gagnant un ticket pour Lourdes à la tombola de son village, il y a cinq ans. Depuis, elle revient. Les mots de Bruno, très handicapé physiquement, y sont sans doute pour beaucoup : « Il m’a dit : “Je ne remercierai jamais assez Dieu d’être en vie.” Quelle leçon de vie ! »

Joie et miséricorde

À Lourdes, la miséricorde de Dieu est infinie. Elle passe par les mains d’étudiantes infirmières américaines, toutes plus rayonnantes les unes que les autres, qui se disent honorées d’aider les plus vulnérables, et en paix d’aller se coucher avec la conviction d’avoir fait tout ce qu’elles pouvaient pour aider. La miséricorde de Dieu passe aussi par les mains des chapelains, comme celles du père Dominique, arrivé il y a quatre ans de Belgique après 30 années passées comme guide de pèlerinage à Lourdes. Le point commun qu’il remarque chez la majorité des pèlerins est cette expérience faite des limites de la vie à travers un deuil, une maladie, une déception. « Il y a une volonté d’être consolé et guéri, c’est l’espoir qui guide les gens jusqu’à Lourdes. Le rôle du prêtre est d’accueillir dans la joie, mais ce n’est pas difficile car, ici, il y a de la joie. » Tout à côté de nous, les chants résonnent sur le parvis du sanctuaire, l’allégresse se lit sur les visages, la charité pour tous est palpable. « À Lourdes, tout le monde a cette envie de rencontre, c’est la grâce du lieu. Alors qu’en Belgique, je prépare toujours mon homélie, ici je regarde les gens et je vois dans les yeux qu’ils me demandent : “Père, raconte-nous, donne-nous à manger.” »

À presque 60 ans, le père Dominique a lui-même expérimenté la souffrance, notamment à travers la mort de son père quand il était très jeune, puis de sa soeur adorée, fauchés par des voitures. Il est ainsi bien conscient que l’Église invite les gens pour les soulager, pas pour les condamner. Il se rappelle cette jeune femme de 20 ans qui lui a confié être attirée par les femmes. « J’étais là pour elle, sur ce banc, c’était la providence. Je ne suis pas venu de Belgique pour accabler les gens. Je lui ai dit : “Jésus t’aime vraiment, il ne te condamne pas, au contraire, il veut que tu sois heureuse.” » Le lendemain, le père a retrouvé un message à l’accueil avec des mots qu’il n’oubliera jamais : « Le 12 octobre 2021, vous avez été pour moi le miracle de Lourdes. » Certain de la revoir, il a gardé le bout de papier froissé. « Ce n’était pas un grand miracle, mais c’était un beau miracle. On l’a vécu tous les deux. » Chaque jour, cet homme de Dieu, qui maîtrise six langues, rencontre l’être humain dans sa plus grande fragilité, qu’il soit pécheur ou innocent. Il accueille avec le même amour un bébé de neuf mois que les parents lui demandent de bénir alors qu’il n’a que quelques semaines à vivre et un militaire effondré d’avoir tué femmes et enfants en terres afghanes. « Des fois je me demande, est-ce que je peux vraiment dire : “Tu es pardonné” ? Mais deux choses m’aident. Tout d’abord, j’ai vraiment le sentiment et la conviction très forte de pouvoir guérir et pardonner au nom de Jésus, et cela c’est beaucoup plus grand que la tristesse. La deuxième chose, c’est que je suis absolument certain que Jésus est ressuscité, je suis vraiment sûr que ce n’est ni le mal, ni la souffrance qui auront le dernier mot, mais ce sera la vie éternelle. »

Lourdes est un lieu de grâces unique, qu’elles soient visibles ou non, liées à la foi, au pardon, à la guérison, à la rencontre, à l’accueil de l’autre tel qu’il est, fils de Dieu. « Et la vraie responsable ici, c’est cette Dame », rappelle le père Dominique en pointant du doigt la grande statue de Notre Dame de Lourdes qui trône majestueuse devant le sanctuaire.

Marie-Ève Bourgois

Retour à l'accueil