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« Il s'en est fallu de peu que la reconstruction soit impossible »

Mgr Patrick Chauvet, recteur-archiprêtre de Notre-Dame de Paris de juin 2016 à septembre 2022, revient sur le sauvetage des tours et la statue miraculeusement intacte de la Vierge dans la nef qui ont maintenu l’espérance.

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Monseigneur, les 15 et 16 avril 2019, Notre-Dame de Paris est en feu et vous êtes aux premières loges. Racontez-nous le déroulement de ce tragique incendie.

Quand l’incendie a démarré, je venais de quitter la cathédrale et me trouvais dans la rue du Cloître Notre- Dame. Une commerçante m’a interpellé : « Regardez, monseigneur, il y a de la fumée qui sort de la flèche… » J’ai immédiatement voulu m’assurer que les pompiers avaient été sollicités. Ce jour-là, l’église n’était pas pleine et l’évacuation s’est très bien passée. Je suis arrivé sur le parvis et l’incendie s’est propagé. On m’a demandé de reculer davantage pour éviter d’être brûlé. Les pompiers ont mis du temps à arriver, car le quai de Montebello était bloqué par la circulation. Une fois sur place, ils ont immédiatement fait appel à d’autres collègues. Puis j’ai vu comment tout s’est embrasé à une rapidité sans nom.

Qu’avez-vous ressenti ?

Madame Hidalgo m’a rejoint, elle m’a soutenu dans cette épreuve. Puis le président est venu. Pendant que je voyais la cathédrale brûler et la flèche tomber, je ressentais une sorte de souffrance et de désolation. C’était la première fois que je voyais ça. J’ai prié très fort pour que le Seigneur me soutienne. De loin, j’entendais des jeunes qui chantaient et je voyais des catholiques prier. Cela m’a aidé à tenir bon.

Le commandant de la brigade des pompiers, le général Jean-Claude Gallet, m’informait en temps réel, sans m’épargner. Je voyais la charpente brûler et le feu s’avancer vers les tours. On a prié pour qu’elles ne brûlent pas. Il y a eu une période très longue. À cet instant, on m’a demandé le code du coffre où se trouvait la Couronne d’épines, mais impossible de m’en souvenir. Décision a été prise de casser le coffre et l’aumônier de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), le père Jean-Marc Fournier, a participé au sauvetage de la Couronne et du Saint-Sacrement.

Quel a été le moment le plus difficile ?

Quand la tour nord, où il y a des cloches, a commencé à brûler. Le général m’a dit que la situation s’aggravait : la cathédrale risquait de s’écrouler sous mes yeux. Alors que le général n’osait pas envoyer des pompiers car c’était trop dangereux, le président a insisté. Pendant vingt-cinq minutes, j’étais avec lui et sa femme sur le parvis. On voyait les flammes dans la tour nord, puis les pompiers sont montés de l’extérieur pour tenter d’éteindre l’incendie de la tour. Le général nous a dit : « Regardez bien la façade de la cathédrale, car vous risquez de ne plus la voir dans quelques minutes. » Si les tours tombaient, la reconstruction aurait été absolument impossible. Il s'en est fallu de peu. On s’est soutenu et on a attendu. J’ai prié, je ne pouvais faire que ça. Je trouvais Dieu bien silencieux, j’aurais aimé qu’il nous parle un peu plus, mais je sentais quand même une présence. Au bout de vingt-cinq minutes, le général a annoncé que son équipe avait réussi. Plus tard, il m'a accompagné dans la cathédrale avec le président et son épouse. Nous avons vu que le fond de la cathédrale était bien abîmé, puis il y a eu un signe d’espérance. Le président m’a dit : « Monseigneur, regardez, la croix est là ! » Et la croix s’est illuminée. Je lui ai dit : « Monsieur le président, la Vierge est là ! » La voûte est tombée sur la Vierge, mais elle n’a pas été touchée : les pierres étaient amoncelées à ses pieds ! De là, l’espérance s’est propagée, car la Maîtresse de maison avait sauvé sa cathédrale.

Que s’est-il passé ensuite ?

Il était environ minuit. Les pompiers sont restés sur place et je suis rentré chez moi. Je n’ai pas dormi, bien sûr, et je suis revenu vers cinq heures. J’étais seul sur le parvis, j’entendais en boucle les paroles de Bernanos qui disait : « Voilà, réveille-toi, France, réveille-toi ! » Je suis revenu au presbytère, les chapelains étaient présents. Je pensais aux soixante-cinq salariés qui venaient de perdre leur outil de travail. Mais c’est l’espérance qui l’a emporté, car la Vierge avait protégé sa maison et nous devions déployer nous aussi tous les moyens pour la sauver. Financièrement, la France et beaucoup d’autres pays ont été très généreux. J’ai reçu des dons de cinq ou dix euros d’enfants qui venaient de casser leur tirelire, c’était très touchant. J’ai reçu aussi de très beaux dessins d’écoles des États-Unis, des dons de Malaisie, de Chine, etc. Il y a eu beaucoup de grands dons et c’est merveilleux, mais je pense aussi à tous les autres. À travers les centaines de lettres envoyées du monde entier, j’ai senti une immense affection pour la cathédrale, la maison de Marie.

Pourquoi une telle émotion ?

Notre-Dame de Paris, c’est l’histoire de la France. Tous, croyants ou non, ont toujours eu accès à la cathédrale. C’est un lieu où le peuple peut se retrouver. Quand elle a pris feu, ça a ravivé la foi de ce peuple, car la cathédrale nous appartient. Avant l’incendie, j’avais déjà perçu son importance aux yeux du monde, parce que tous les chefs d’État venaient la visiter. Elle est inscrite dans notre histoire. Il y a un an, j’ai été invité à la caserne de Champerret [siège de l’état-major de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, ndlr] à la période de Noël et on m’a fait visiter son musée. Sachez qu’il y a une place pour Notre-Dame… Cet incendie a marqué les esprits. Un pompier est venu me voir et m’a confessé : « Monseigneur, je venais régulièrement prier dans cette cathédrale et c’est toujours une émotion pour moi d’en parler. » La cathédrale, c’était sa maison. Et je pense que même d’un point de vue politique, il est important que l’État, propriétaire des cathédrales, admette que ce sont nos lieux et qu’ils appartiennent à l’Église. Une cathédrale est vivante, jamais elle ne sera un musée.

Dans la perspective chrétienne de la mort et de la Résurrection, la réouverture de la cathédrale est-elle une so rte de renaissance ?

Oui, en écoutant la voix de Marie, rien n’est impossible. C’est vrai qu’on a eu de l’argent pour cette renaissance. Mais il ne faut pas oublier qu’on a eu aussi les meilleurs ouvriers pendant trois ans. J’ai été le curé du chantier. J’ai pu observer à quel point tous ceux qui ont oeuvré à cette renaissance ont mis leur coeur et leur savoir-faire au service de Notre-Dame. J’ai vu l’attachement de tous ces jeunes et moins jeunes, de ces ouvriers, de ces compagnons qui n’ont pas compté leurs heures. La reconstruction était une guerre, une guerre face à des obstacles inattendus. Une guerre contre le temps : le général a eu un challenge de cinq ans. Mais il y avait une volonté de réussir cette reconstruction et, en définitive, j’ai vu comment on pouvait bâtir une cathédrale à l’époque. Je pense vraiment que c’est la force de l’espérance qui a fonctionné. Aujourd’hui, la reconstruction est terminée. On a utilisé des méthodes nouvelles pour nettoyer les pierres. Les peintures ont été refaites. On a maintenant une cathédrale lumineuse, toute blanche, toute belle. C’est un véritable bijou, l’oeuvre de la grâce. Et j’en suis certain, la Vierge a accompagné ce projet : c’est tout de même incroyable que la statue de Marie soit restée intacte ; pour moi, c’est un miracle !

Propos recueillis par Olivier Bonnassies

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