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Le rugby et le Christ, ses deux vocations

Le père Martial, rattaché au diocèse de Toulon, consacre sa vie à ses deux vocations : l’Église et le rugby. Loin d’être antagonistes, foi et sport se complètent parfaitement dans le quotidien de ce prêtre de 32 ans.

© DR

La soutane d’un côté. De l’autre, les crampons. Le placard du père Martial a ceci d’original qu’il réunit deux tenues bien différentes l’une de l’autre : celle du croyant convaincu et celle du joueur de rugby acharné. « Mais qui a inventé le rugby ? », interroge le religieux. Réponse : « William Webb Ellis, qui a donné son nom au trophée de la Coupe du monde et qui était prêtre en son temps, au XIXe siècle. » Le père tisse un lien entre foi et sport, retrouvant dans chacune de ces deux pratiques des valeurs communes : l’entraide, la solidarité, la volonté, le courage et le don de soi, entre autres. Il argumente : « Dans un match de rugby, si tu encaisses 60 points, tu es démoralisé mais tu continues à jouer et à encaisser les chocs… De la même manière, sur Terre, nous commettons tous des péchés, mais il faut se relever et continuer à avoir de l’espérance. » D’ailleurs, le vainqueur, selon lui, n’est pas le plus fort, mais le plus courageux. Jésus lui-même n’a-t-il pas fait preuve de courage et de détermination en marchant un nombre incalculable de jours entre Judée et Galilée tout au long de sa vie ? « Le sport, c’est exercer sa volonté, cette même volonté qui me permet de me dédier au Christ », assure le père Martial. Dans la pratique, le prêtre s’entraîne deux fois par semaine et dispute parfois un match le week-end, lorsque son emploi du temps le permet. Et après chaque partie, direction la chapelle pour la prière, car « après la troisième mi-temps, j’ai comme un appel intérieur pour le calme », explique-t-il. Cette troisième mi-temps si typique de l’ovalie est l’occasion de boire une bière au Graal, un bar associatif situé juste à côté de l’église paroissiale de Toulon, et d’échanger avec les adversaires, souvent surpris d’avoir joué contre une équipe en partie composée de prêtres. Des indices auraient pourtant pu les mettre sur la piste : avant les matchs, les prêtres-rugbymen bénissent leur maillot et entonnent Hec est Dies, une des prières des croisés lorsqu’ils partaient au combat.

 

IMPOSSIBLE « D’ÊTRE HEUREUX EN DEHORS DU SACERDOCE »

Si le rugby occupe une place importante dans la vie du père Martial, la religion catholique n’en a jamais pâti. Au contraire, le religieux sait qu’il veut être prêtre depuis ses six ans. « Je suis issu d’une famille catholique. Et avec un oncle et un cousin prêtres, le sacerdoce était quelque chose de familier pour moi », se souvient-il. En septembre 2009, âgé de 17 ans, il entre tout naturellement au séminaire malgré son jeune âge. « Je ne savais pas ce que cela voulait dire concrètement d’être prêtre ; j’ai d’abord pris une claque en constatant qu’un prêtre devait prier autant ! », reconnaît-il en souriant, avant d’ajouter dans la foulée : « Je savais pourtant pertinemment que je ne pouvais pas être heureux en dehors du sacerdoce. Il n’y a que cela qui me rend heureux, et je le pense aussi quand je regarde l’avenir. » Au quotidien, le catholique, prêtre depuis 2016, partage son temps entre la prière, l’étude pour sa thèse de philosophie à l’Angelicum de Rome, un institut universitaire d’études ecclésiastiques, et la préparation des cours de philosophie qu’il donne au séminaire de la Castille du diocèse de Fréjus-Toulon. Il poursuit également son apprentissage afin d’intégrer, « d’ici un an ou deux », la société des Missionnaires de la Miséricorde Divine, une communauté fondée en 2005 par l’abbé Fabrice Loiseau à Toulon et qui est désormais présente à Marseille, Draguignan, Lyon et Strasbourg. Les prêtres de la paroisse mettent aussi en place des missions de rue ; l’occasion pour le père Martial d’arpenter le secteur du stade du Rugby Club Toulonnais (RCT), un club professionnel créé en 1908 et détenteur de quatre titres de champion d’Europe et autant de champion de France. Il y a enfin le projet de construction d’une chapelle dans la région toulonnaise… évidemment dédiée à Notre-Dame de l’Ovalie !

 

UN ÉQUILIBRE ESSENTIEL

Le sport aussi colle à la peau du père Martial. Très sportif dès son enfance, il touche à tout : football, vélo, natation, course à pied. À 7 ans, il goûte déjà à la compétition en jouant et en performant lors d’une compétition nationale de rugby organisée par l’UNSS (Union Nationale du Sport Scolaire). Sa vie le conduit un temps à Lille, où il court « à pleine balle sur des 10 kilomètres ». À Rennes, il monte une équipe de football. À Florence, où il fait son séminaire, il casse des cailloux, construit des murs pour rénover le bâtiment, court « un peu partout » sur le terrain de 40 hectares de l’établissement catholique italien. Au Gabon, où il se trouve en mission, il nage. À Toulon, il découvre la course à pied avec du dénivelé, la ville étant entourée de reliefs, mais surtout, il revient à sa première passion : le rugby, dont il chérit la culture. « Le cadre est largement favorable pour l’ovalie ici, avec la grande équipe du RCT », se réjouit-il.

Son activité sportive a diminué depuis son entrée au séminaire, mais jusqu’à ses 17 ans, le sport occupait deux heures de ses journées. Dans la tête, en revanche, la motivation n’a pas diminué : « Sur le terrain, je suis là pour plaquer, je mets l’évangélisation de côté ! »

Il poursuit : « Mon statut de prêtre m’impose d’être tout le temps mesuré, bienveillant et équilibré. Or, je suis quelqu’un d’assez nerveux et hyperactif, donc cela me fait du bien de lâcher les chevaux pendant les matchs ! » Le sport lui permet de trouver son équilibre… à part pendant la dernière Coupe du monde de rugby, hébergée en France du 8 septembre au 28 octobre 2023 : « Quand je regardais les matchs, j’avais des pics cardiaques assez violents ! », avoue-t-il. Il lui a même été impossible de regarder la deuxième période du quart de finale entre la France et l’Afrique du Sud, après une première période mal embarquée pour les Bleus. Et ses prières n’auront pas changé le cours du match, avec l’élimination des Tricolores par les Sud-Africains au terme des 80 minutes de la partie. « C’est dur d’avoir une cohérence entre ma passion déraisonnable et mon identité sacerdotale : un peu hargneux, je ne suis pas un très bon curé dans le cadre du rugby », plaisante le trentenaire avec lucidité.

 

AMBIANCE BON ENFANT

Le prêtre a parfois l’occasion d’échanger avec les joueurs professionnels du Rugby Club Toulonnais à qui il confie des images saintes. L’ancien international français et joueur du RCT, Guilhem Guirado, s’est tourné vers le père Martial pour faire baptiser son enfant. Le religieux a aussi pu échanger quelques mots avec le centre Mathieu Bastareaud, véritable figure du club. Et lorsqu’une rencontre a lieu à domicile, il se dirige vers le stade Mayol sans billet. Devant les tribunes, drapé de sa soutane, le père Martial en appelle à la solidarité pour qu’un supporter lui paye son billet. Jusqu’ici, cela a toujours fonctionné. « Je me retrouve avec des groupes de supporters toujours très différents, c’est un échange mutuel très enrichissant, car ils sont assez interloqués par ma présence », détaille-t-il. L’occasion aussi de se chambrer, toujours dans une ambiance bon enfant : « Certains font volontairement des blagues anticléricales et, de mon côté, je fais des prières pour que nos joueurs marquent des essais ! » Et lorsqu’il entend une remarque hostile – ce qui n’est arrivé que deux fois –, il rappelle volontiers à ses détracteurs qui est l’inventeur du rugby : le prêtre William Webb Ellis !

Maxime Dewilder

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