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Se laisser guider par les signes

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Ce jour-là, le soleil éclairait d’une lumière éblouissante les vitrines un peu vieillottes des rues d’Astoria, quartier du Queens, tout proche de Manhattan à New York. Je ne me rappelle plus si c’est lui ou moi qui ai téléphoné. À l’autre bout du fil, sa voix était enjouée, plus encore qu’à l’accoutumée. Depuis plusieurs semaines déjà, il essayait de trouver des raisons plus ou moins valables de me faire rentrer en France. « Ta soeur va avoir un enfant. » « Les États-Unis, ce n’est plus ce que c’était ! » J’imagine que cette fois, selon lui, c’était la bonne. Un de ses amis journalistes était à la recherche d’un confrère pour rédiger des portraits de personnes catholiques. « Sans blague, hein, il veut te voir ! » Comme toujours, j’ai pris la nouvelle avec une certaine distance, connaissant la personnalité exaltée de mon père qui le conduit facilement, et souvent malgré lui, à enjoliver ses récits.

Dans les faits, je n’ai jamais eu le moindre contact avec ce journaliste. Cette piste qui aurait pu mener à une embauche n’a pas été suivie et, pour être honnête, je ne me souviens plus pourquoi. Mais peu importe les raisons qui font que je n’ai finalement pas rencontré cette personne, car ce qui compte, c’est ce qui s’est passé par la suite. L’idée de rédiger des portraits de catholiques ne m’a pas quittée ; et elle allait considérablement changer le cours de mon histoire. Nous étions au début du mois de juillet 2014, je vivais à New York d’un boulot dans le marketing, de fêtes, de sorties avec mes amis et, occasionnellement, de rendez-vous galants pas vraiment galants.

Fraîchement diplômée de l’École de Journalisme de Toulouse (EJT) deux ans plus tôt, j’avais alors créé un petit blog sur lequel je publiais déjà des portraits. Mais il m’avait fallu trouver un travail, gagner de l’argent, consommer. Bêtement, je me suis laissée happer par la vie, par les soucis, et j’ai délaissé ce premier blog. Cette petite expérience bien insignifiante m’avait toutefois fait prendre conscience de l’importance de l’écoute et de la confiance partagée, ce qui, quelques années plus tard, me rendra bien service. J’avais compris que, pour écrire sur le passé, le présent et le futur d’un inconnu, il fallait essayer de le comprendre sans le connaître, l’écouter sans le juger, parfois même faire preuve d’empathie sans tomber dans un sentimentalisme vain car impossible à poursuivre.

 

Croyants ordinaires

À l’été 2014 en France, les catholiques étaient sur le devant de la scène médiatique et politique. Ils se rassemblaient depuis plusieurs mois sous la bannière de la « Manif pour tous » et criaient leur colère dans les rues des grandes villes françaises contre le projet de loi qui visait à autoriser le mariage pour tous. La situation était tendue. L’incompréhension d’une partie de la population envers les « cathos jupes plissées versaillais » grandissait. Depuis les États-Unis, je regardais cette actualité avec une certaine distance. New York, c’est un peu la « Grosse Pomme » qui vous mange plutôt que l’inverse. Du lundi au dimanche, on ne s’ennuie pas, on n’a pas le temps. Au milieu de ce tourbillon infernal, ma foi personnelle était là, quelque part. Cet amour du Christ et de la Vierge Marie transmis par mes parents se manifestait de temps à autre, lorsque je passais devant une église ou que je rencontrais un prêtre au hasard d’une rue. Dieu ne me lâchait pas la main, mais moi je courais. Je le voyais à peine, j’avais mieux à faire. Qui a besoin de Jésus dans un concert déjanté de ses artistes préférés à Prospect Park ?

Et pourtant… Peu à peu, cette idée de faire des portraits de catholiques a cheminé en moi, car je réalisais que la presse française mentionnait beaucoup les croyants sans jamais leur donner réellement la parole. Bien sûr, le Grand Rabbin de France ou Monseigneur Vingt-Trois avaient leur mot à dire sur l’actualité, mais les croyants ordinaires, comme vous peut-être, comme moi, n’avaient que très peu l’occasion de s’exprimer. Qui étaient-ils ? Comment vivaient-ils leur foi au quotidien ?

 

Face à la tentation

Alors que j’arpentais les rues de New York à la recherche de mon propre plaisir, j’étais confrontée à cette réflexion qui faisait écho à la proposition de mon père quelques jours plus tôt. J’avais 25 ans, un quart de siècle, combien de temps encore à passer sur terre ? Peut-être deux fois plus, peut-être deux fois moins.

Je sentais que le choix qui s’imposait à moi était sérieux. Devais-je rentrer en France pour répondre à mes interrogations, abandonner mon travail de responsable marketing dans la mode, mes amis, ma carrière, les États-Unis ? Devais-je rentrer, tout abandonner, recommencer à zéro, sans promesse de réussite, sans salaire, mais avec la conviction d’avoir pris la bonne décision ? Pendant des semaines, ces questions gravitèrent dans mon esprit, faisant pencher la balance tantôt à l’ouest, mais le plus souvent à l’est de l’océan Atlantique. La tentation de poursuivre cette vie trépidante, peu spirituelle il est vrai, mais extrêmement enrichissante et divertissante, était grande. Vivre à New York était l’un de mes rêves : y renoncer si rapidement ne faisait pas partie de mes plans. Mais je sentais en moi cette force inexorable qui me poussait à désapprendre ce que j’avais cru comprendre : être raisonnable, n’est-ce pas plutôt débuter un projet que nous n’aurons peut-être plus l’occasion ni la détermination de réaliser ? Il me semblait alors ce que nous appelons chez les catholiques « l’Esprit Saint » me parlait. Après bien des hésitations, en septembre 2014, ma décision était finalement prise : je devais rentrer en France pour partir à la rencontre des croyants.

La préparation de ce projet un peu fou commençait alors. En parallèle de mon activité professionnelle, il me fallait trouver un nom, un logo, créer un site Internet, trouver des partenaires, contacter la presse, acheter le matériel nécessaire (appareil photo, GPS, carnets, agenda, caméra, micro, etc.). Surtout, il me fallait penser à un itinéraire, à une manière de faire pour rencontrer des croyants. Il me fallait… un nouveau plan. Mais jour après jour, les réponses s’enchaînaient avec une évidence et une facilité déconcertantes, si bien que, début décembre 2014, je quittais résolue le sol américain pour poursuivre ce rêve extravagant né à la suite d’un appel anodin.

Le 3 ou 4 janvier 2015 marquait le début d’un grand périple qui s’étala finalement sur un peu plus de huit mois : « 1 France, 100 Visages ». De quoi allais-je vivre ? Je n’en avais pas la moindre idée, mais je décidai de m’inscrire à Pôle emploi et c’est à ce moment-là que je découvris un autre signe qui me confirmait que j’étais sur le bon chemin : j’avais le droit à une petite allocation mensuelle…

 

Là où la Providence conduit

Au total, j’ai passé quelque 240 jours à arpenter la France du nord au sud, de l’est à l’ouest. À dormir dans ma petite Clio grise, dans un château, un monastère, dans la cave ou dans le grenier d’inconnus avec le même contentement. Et si j’avais souvent préparé mon itinéraire à l’avance, je n’étais pourtant pas aux manettes et je voguais là où la Providence m’envoyait.

J’ai bien rencontré 100 personnes, 100 visages, dont beaucoup m’ont raconté avoir, eux aussi, reçu des signes de Dieu dans leur vie. Dans le Sud-Ouest, Alain-Paul m’avait ainsi affirmé : « Il est impossible de ne pas croire en Dieu. Il y a des signes qui ne trompent pas », comme le carillon du salon, objet que sa belle-mère lui avait offert, bloqué à l’heure exacte de son rappel à Dieu : 8 h 51. J’ai aussi eu la joie de découvrir Riwanon, une jeune Bretonne installée à Metz au moment de mon reportage. Alors qu’elle ne comprenait plus rien à sa vie, elle avait découvert un livre de Maître Eckhart qui changea son destin. « Je ne voyais pas du tout le sens de ma vie. Et là, un type du XIVe siècle répond à ma question dans un texte en moyen-haut allemand ! À chaque fois que je me dis “je jette l’éponge, j’arrête de croire”, il y a toujours quelqu’un qui me rapproche de Dieu. » Et comment ne pas évoquer le père René-Luc rencontré à Montpellier qui, à 19 ans, a retrouvé son père biologique suite à un pèlerinage effectué par le père et le fils, au même endroit, le même mois de la même année et qui avaient tous les deux demandé l’intercession de Notre Dame de Lourdes pour se retrouver…

Pour conclure ce récit, je voudrais me confier à vous comme beaucoup se sont confiés à moi. Vers la fin de mon périple, dans un songe, Jésus m’a parlé. Il avait l’apparence d’un très jeune enfant aux cheveux blonds bouclés, lové dans les bras de sa mère, et quand il s’est adressé à moi de sa voix extrêmement claire et forte, il m’a conseillé : « Donne-moi tout. » J’ai terminé mon voyage en septembre 2014 avec le sentiment du devoir accompli, mais en réalité, ma mission ne faisait que commencer. Quelques semaines plus tard, un an tout juste après mon retour en France et grâce à un ami commun, j’ai rencontré Olivier Bonnassies, le directeur de l’Association Marie de Nazareth, un autre signe de Dieu. Voilà maintenant près de huit ans que je m’occupe de divers projets qui animent l’association et cela fait quelques mois que nous préparons ce magazine dont l’ambition est très simple mais fondamentale : permettre au plus grand nombre de découvrir la beauté, la vérité et la profondeur de la foi chrétienne. Pour cela, nous avons besoin de vous.

Les signes de Dieu dans notre vie sont réels. Nous ne les percevons pas toujours à l’instant t, mais si nous prenons le temps de relire notre parcours avec la plus grande objectivité dont nous sommes capables, nous verrons sans nul doute que telle décision ou action décisive n’a pas été le fruit du hasard, mais d’une main tendue du Ciel. Je n’ai jamais été aussi proche de Dieu que lors de ces huit mois passés au contact des habitants de la France et j’espère que la lecture de ce magazine et la découverte des raisons de croire en la foi chrétienne vous procureront la même joie.

Marie-Ève Bourgeois

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