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Marie a un fantastique charisme d'unité

Entretien avec le père jésuite Laurent Fabre, fondateur de la Communauté du Chemin Neuf. Alors que la communauté du Chemin Neuf a soufflé ses cinquante bougies en octobre dernier, les défis de l’oecuménisme qu’elle prône restent plus que jamais d’actualité.

Veillée de prière, organisé par le Chemin Neuf. / © CC BY-SA 3.0, LaurentJerry.
LA NAISSANCE ET L’ÉVOLUTION DE LA COMMUNAUTÉ

Pouvez-vous nous partager vos souvenirs du premier week-end de formation à Neuville-sur-Saône en 1972, dont vous êtes à l’origine ?

L’histoire de la communauté du Chemin Neuf est tissée de rencontres, de coïncidences étonnantes, qui ne peuvent pas être simplement le fruit du hasard. Ce fameux week-end de 1972, j’étais avec deux amis protestants américains, ainsi que des amis catholiques apprentis jésuites dans un chalet au coin du feu, au-dessus de Grenoble. Nous nous sommes réunis le temps d’une prière partagée. Avant de m’agenouiller pour prier, je me suis mis à trembler. Ce n’était pas de froid, puisque j’étais face au feu de bois dans la cheminée, mais plutôt de peur, de crainte. Je me rendais compte que cette démarche allait changer beaucoup de choses dans ma vie. Un fond de méfiance persistait en moi et, sans doute pour bien signifier que je voulais rester catholique, pendant que ce protestant priait pour moi, je récitais tout fort un Je vous salue Marie.

Le lendemain matin, j’ai proposé de prier et j’ai demandé que l’on me donne une Bible. Je l’ai ouverte au hasard et j’ai lu à haute voix le psaume qui se présentait sous mes yeux… Chacun lisait, à son tour, quelques versets en anglais ou en français, et je peux vous dire que chaque mot me concernait. Sans aucun doute ai-je vécu, à ce moment-là, ce qu’on nomme dans l’Église le « baptême dans l’Esprit ». Ce psaume (50) très connu est une invocation de la miséricorde de Dieu :

« Pitié pour moi, mon Dieu, en ta bonté, en ta grande tendresse, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de mon mal, de ma faute purifie-moi.
Car mon péché, moi, je le connais, ma faute est toujours devant moi sans relâche.
Contre toi, toi seul, j’ai péché, ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait. Mais tu aimes la vérité au fond de l’être, dans le secret tu m’enseignes la sagesse. [...]
Ôte mes taches avec l’hysope, je serai pur ; lave-moi, je serai blanc plus que neige.
Rends-moi le son de la joie et de la fête : qu’ils dansent, les os que tu broyas !
Détourne ta face de mes fautes, et tout mon mal, efface-le.
»

Il est difficile de décrire un moment comme celui-là ; je pleurais en me reconnaissant pécheur. Je n’avais pas conscience d’un péché particulier, mais j’étais tout simplement un « pauvre type » ! En même temps, curieusement, j’éprouvais ce que dit le psaume, une sorte de joie profonde, et je ne sais pas si mes larmes étaient des larmes de repentir ou des larmes de joie. Tout était devenu simple : le renouveau charismatique n’était plus un problème. Les Américains et les protestants étaient mes frères, et Dieu était présent dans sa miséricorde, dans sa tendresse.

Plus de cinquante années après, il est impressionnant de constater combien ce week-end en montagne nous a initiés et engagés dans ce Chemin Neuf. Nous voyons que cette « force d’en haut » que Jésus promettait à ses disciples – l’Esprit Saint – est toujours à l’oeuvre aujourd’hui.

 

Comment la communauté du Chemin Neuf a-t-elle évolué depuis sa fondation il y a 50 ans ?

La Communauté, qui vient de lancer son année jubilaire, regroupe aujourd’hui 2 400 personnes engagées dans 30 pays, soit 80 diocèses. Elle a connu une crise en 1995 mais, dans l’ensemble, comparativement à d’autres communautés nouvelles très éprouvées, nous avons été protégés, en particulier grâce à la spiritualité ignatienne. J’ai été pendant 44 ans responsable (réélu cinq fois), mais j’ai toujours dit que le véritable fondateur de notre communauté est saint Ignace. Depuis 2016, le père François Michon est responsable.

 

OECUMÉNISME ET UNITÉ

Pourquoi la communauté du Chemin Neuf s’est-elle engagée dans l’oecuménisme ?

Pour commencer, il y a deux manières très différentes de vivre l’oecuménisme.

  • La première est « l’oecuménisme par diminution » : on supprime tout ce qui dérange, pour en rester à un simple dénominateur essentiel commun. Par exemple, les catholiques vont s’abstenir de demander publiquement l’intercession des saints et celle de Marie en particulier ; les orthodoxes ne vont pas faire leur grand signe de croix en embrassant le sol et ne vont pas se déplacer pour vénérer leurs icônes ; les luthériens ne vont pas trop parler de la doctrine de la justification chère à Luther, et les évangéliques vont se limiter dans les prières de guérisons.
  • La seconde est « l’oecuménisme par augmentation », qui est de plus en plus encouragé par le Conseil OEcuménique des Églises et que l’on nomme parfois « oecuménisme réceptif ». Ici, on va le plus possible « partager nos dons », « nos manières de prier » et « se recevoir ainsi mutuellement ». Les catholiques vont par exemple apprendre des évangéliques à prier pour les guérisons, les anglicans vont partager les trésors d’évangélisation des cours Alpha dans le monde entier, les pentecôtistes vont découvrir les vertus du silence et des Exercices spirituels de saint Ignace, et les catholiques vont enfin oser partager cette communion des saints que Jésus n’a pas cachée à Pierre, Jacques et Jean en parlant avec Élie et Moïse sur la montagne de la Transfiguration. Il faut, pour notre communauté du Chemin Neuf, humblement reconnaître que notre tentation est de rester prudents et discrets et de se contenter d’un « oecuménisme par diminution ».

 

Quels sont les liens entre la Communauté et le pentecôtisme plus particulièrement ?

C’est cette dimension de l’unité qui nous lie. Quand j’ai vécu cette expérience de pentecôtisme, j’ai décidé de travailler avec des frères venant d’autres églises. J’ai compris que c’était la volonté du Seigneur : il n’y a pas d’évangélisation dans la division. Le renouveau dans l’Église passe par l’unité des chrétiens grâce à l’accueil de l’Esprit Saint. Avec le pentecôtisme, on suit le Christ et c’est l’Esprit Saint qui pousse à la vie communautaire.

Quand, il y a 52 ans, pendant ce premier week-end béni, un membre de la Communion Anglicane, Mark Hoffman (Brother Moses), priait sur moi pour que je vive cette expérience de Pentecôte, ce « baptême dans l’Esprit », j’ignorais encore trois choses :

  1. que j’allais moi-même, quelques années plus tard avec d’autres en Suisse, prier à mon tour et poser ma main sur l’épaule de Justin Welby, futur primat de la Communion anglicane ;
  2. que ce dernier allait faire confiance à la communauté du Chemin Neuf en l’invitant à fonder avec lui, à Lambeth Palace, au coeur de Londres et de l’Église anglicane, une communauté internationale et oecuménique, la communauté Saint-Anselme, qui existe déjà depuis 2015 ;
  3. que, touché par cet exemple, l’archevêque épiscopalien de New York allait faire de même. La communauté du Chemin Neuf a été accueillie jeudi 8 septembre 2022 au sein de la cathédrale épiscopalienne St. John the Divine à New York au cours d’une célébration retransmise en direct sur les réseaux sociaux. Elle est appelée à collaborer avec l’Église épiscopalienne de New York pour démarrer la communauté « At the Crossing », inspirée par ce qui se vit à Lambeth Palace à Londres.

 

Est-il toujours facile de promouvoir l’oecuménisme ?

Dans la paroisse que le cardinal Lustiger nous a confiée à Saint-Denys de la Chapelle (Paris, XVIIIe arr.), nous avons lancé, avec le curé Jean-Hubert Thieffry et toute son équipe pastorale, pour la première fois en France, les « cours Alpha » venus de notre frère Charles Hadley, prêtre anglican, en lien avec la paroisse anglicane de Londres : Holy Trinity Brompton (HTB). J’ai donné les trois premiers enseignements devant une petite centaine de personnes.

Quand, par la suite, j’ai rencontré personnellement le cardinal Lustiger pour lui parler des « cours Alpha », il n’était pas très content ! Il se méfiait des anglicans et voulait que l’on change le nom pour nous autres catholiques. J’ai répliqué que son homologue de Londres, le cardinal Hume, avait fait confiance aux anglicans et avait invité deux fois 400 prêtres catholiques dans sa cathédrale de Westminster, afin de les initier aux cours Alpha par les responsables de la paroisse Holy Trinity Brompton.

Cinq années après notre premier cours Alpha à Saint-Denys, il y en avait 90 en région parisienne, animés pour la plupart par des catholiques. Je dois ajouter un point très significatif : lorsque nous avons commencé les cours Alpha dans notre paroisse à Paris, des voix protestantes se sont élevées depuis la France pour dire à Nicky Gamble, responsable à Londres, qu’il fallait donner la priorité aux protestants de France avant de laisser commencer les catholiques. La réponse des anglicans de Londres fut tout à l’honneur d’un véritable oecuménisme : ils voulaient, bien au contraire, transmettre ce don en priorité aux catholiques.

 

Les défis d’hier sont-ils les mêmes qu’aujourd’hui ?

Il y a toujours besoin d’un réveil, d’un renouveau. Je crois beaucoup à cette synergie des Églises pour lutter contre tout ce qui est déviant. On est plus crédible quand on est ensemble. Il faut continuer à demander au Saint-Esprit de nous conduire vers l’unité, car sans unité, rien ne marche.

Je fonde beaucoup d’espérance en l’oecuménisme qui reste d’actualité. Aux États-Unis par exemple, lors du réveil pentecôtiste d’Asbury (Kentucky) en février dernier, pour la première fois, une Pentecôte a été oecuménique dès les premiers jours. Sur place, les prêtres étaient émerveillés. Grâce aux médias, ce réveil a été diffusé dans le monde entier et les méthodistes ont fait un travail remarquable pour diffuser cette information avec beaucoup d’humilité : c’est une preuve d’espérance.

Pendant quinze siècles, l’oecuménisme a été piétiné, mais depuis 1910 et les missionnaires à Édimbourg, tout avance à grand pas. Je suis confiant pour l’avenir.

 

LA PLACE DE MARIE AU CHEMIN NEUF

Des membres de différentes Églises vivent donc au sein de votre communauté. Quelle place est accordée à Marie dans la prière et dans la vie quotidienne ?

Contrairement aux apparences, Marie, la Mère de Jésus, a une très grande place dans notre communauté, en particulier dans les « sessions Cana » qui ont lieu dans une cinquantaine de pays chaque année. « L’humble servante du Seigneur » intercède aussi discrètement qu’efficacement, et cela explique certainement le succès des sessions Cana dans le monde.

Personnellement, je crois que Marie a un fantastique charisme d’unité et un don extraordinaire pour défaire les noeuds de la division : en elle, les deux extrêmes, le Ciel et la terre, se rejoignent. Le jour de la Nativité, elle accouche d’un être unique, Jésus « vrai Dieu et vrai homme », et c’est pour cela que l’Adversaire de la nature humaine (comme dirait saint Ignace) a réussi à faire d’elle l’objet de nos divisions ! Les grands conciles oecuméniques à leur tour ont souligné la place très spéciale de Marie, Mère du Christ et Mère de l’Église. Il faut éviter de tomber dans des excès : Jésus est l’unique et le seul médiateur (Épître aux Hébreux 3,1 ; 7,24 ; 9,12 ; 10,12) et, comme disait avec humour un pasteur luthérien, « Marie est tellement grande parce qu’elle est très petite ».

Beaucoup de grands saints et de grandes saintes de l’Église ont trouvé auprès d’elle l’écoute, la patience, la tendresse, la confiance… et souvent l’humour qui conduit à Jésus.

 

Pouvez-vous partager des expériences significatives liées à la dévotion mariale au sein de la Communauté ?

Plusieurs personnes ont contribué à faire honneur à Marie par l’écriture de livres notamment et nous nous sommes aussi engagés dans plusieurs projets autour de la Mère de l’Église.

Pour commencer, en 2015, Olivier Bonnassies nous a confié le centre international marial Marie de Nazareth, et nous avons été très heureux d’accepter de prendre la responsabilité de ce lieu à Nazareth. Nous nous sommes engagés à promouvoir la présence de Marie dans l’Église, c’est une évidence pour nous, et

nous avons pu voir des juifs, des protestants, des musulmans venir au centre. Pour nous, c’était une joie : nous nous sommes engagés, car Marie nous a appelés.

Je peux aussi vous parler d’Anne Cathy Graber qui est mennonite, théologienne, membre engagée à vie de la communauté du Chemin Neuf. Elle est aussi membre de beaucoup de commissions internationales. Elle a écrit une thèse magnifique qui s’appelle « Marie – Une lecture comparée de Redemptoris Mater (Jean-Paul II) et du Commentaire du Magnificat (Luther) à la lumière des dialogues oecuméniques ». Cette thèse a été jugée devant un jury à la fois catholique, protestant et luthérien dans une faculté à Strasbourg. Elle a été hautement récompensée pour son travail remarquable où elle compare les paroles de Jean-Paul II et le Magnificat de Luther.

Il y a aussi Jean-Pierre Rousselle, décédé, membre catholique de la Communauté, qui a écrit un magnifique ouvrage très documenté sur Notre Dame de Guadalupe.

Enfin, j’utilise et partage souvent les textes du cardinal Cantalamessa à l’abbaye d’Hautecombe. Il dit par exemple : « La mariologie de ces derniers siècles est devenue une fabrique permanente de nouveaux titres, de nouvelles dévotions, souvent en polémique contre les protestants, en prenant parfois Marie – la Mère commune ! – comme arme contre eux. Le concile Vatican II a réagi opportunément à cette tendance. Il recommande aux fidèles de "se garder avec le plus grand soin de toute parole ou de tout geste susceptibles d’induire en erreur, soit nos frères séparés, soit toute autre personne, sur la véritable doctrine de l’Église". II rappelle aux mêmes fidèles que "la véritable dévotion ne consiste nullement dans un mouvement stérile et éphémère de la sensibilité, pas plus que dans une vaine crédulité". »

Les expériences liées à la dévotion mariale sont très nombreuses au sein de la Communauté et je crois vraiment à la place de Marie au sein de l’Église.

Propos recueillis par Octavie Pareeag

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