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Au Mexique, Notre-Dame de Guadaloupe déplace les foules depuis près de 500 ans

La Sainte Vierge Marie est apparue à un indigène mexicain, Juan Diego, en 1531 sur la colline de Tepeyac, dans le nord de Mexico. Chaque année, à l’occasion de la fête de Guadalupe le 12 décembre, des millions de fidèles défilent pour célébrer leur Mère.

© Marie-Ève Bourgois

Découvrir la basilique de Notre-Dame de Guadalupe pendant les célébrations de décembre est une expérience unique, presque indescriptible, tant les mots paraissent superflus. Je me suis pourtant engagée à en faire un article, je vais donc faire de mon mieux. Environ 80 % de la population mexicaine est catholique, mais 99 % sont guadelupéens, me répétera-t-on à plusieurs reprises pendant le voyage. C’est vrai. Chaque personne rencontrée, de la plus riche à la plus démunie, de l’adolescent de quinze ans à la grand-mère de douze petits-enfants, a une place dans son coeur pour la Vierge de Guadalupe. « Je pense que c’est lié à la figure de la mère qui est très importante pour les Hispano-Américains. Un proverbe dit : "Si vous enseignez à un homme, vous enseignez à une seule personne, mais si vous enseignez à une femme, vous enseignez à toute une nation." Eh bien, cela fonctionne ici, parce que Notre Seigneur Jésus-Christ, qui aurait pu apparaître lui-même, a décidé d’envoyer sa mère pour cette raison », analyse Arturo Rocha, auteur mexicain spécialiste de la symbolique chez Notre Dame de Guadalupe. Cet homme, qui a travaillé onze ans à la basilique et vit en banlieue sud de Mexico dans un appartement regorgeant d’objets à l’effigie de la Vierge de Guadalupe, étudie depuis de nombreuses années ces apparitions.

 

UNE MÈRE POUR TOUS

Ex-directrice d’une institution très prestigieuse au Mexique – l’ancien collège San Ildefonso qui accueille désormais des expositions temporaires –, Bertha est convaincue que la Vierge de Guadalupe l’a sauvée à trois reprises. « J’ai 75 ans et j’ai eu au cours de ma vie trois cancers dont je suis totalement rétablie. Mon neveu et ma nièce disent que je parle du cancer comme si je parlais d’un rhume [rires]. J’ai eu le premier en 1999, un cancer du sein, le deuxième en 2011, de l’autre sein mais sans aucun rapport avec le premier. On m’a opérée une deuxième fois et j’ai reçu de nouveau trente radiations. Le troisième, c’était en 2020, un cancer de la vessie. Les médecins étaient absolument sûrs que cela allait m’affecter, parce que j’avais 72 ans, quand même ! Mais non, je vais parfaitement bien. Beaucoup d’amis m’ont suggéré de faire du yoga ou de la méditation, mais je n’en ai pas besoin, car je prie tous les jours. Je suis maintenant très impliquée dans les choses liées à la Vierge de Guadalupe, car elle m’a beaucoup aidée. » Bertha espère ainsi avoir une santé suffisamment bonne en 2031, année anniversaire des 500 ans des apparitions, afin d’organiser une exposition temporaire sur la Vierge de Guadalupe dans tout le Mexique, voire aux États-Unis.

 

RIEN N’EST TROP BEAU POUR MARIE

Aux abords de la basilique, les pèlerins dorment dans la rue sous une petite tente, parfois à même le sol, à la belle étoile. Rien n’est trop difficile à supporter pour témoigner de son affection à la Vierge. Moi qui pensais avoir une grande dévotion envers Marie, je dois reconnaître qu’en arrivant sur place, je me suis sentie bien petite devant cette vague d’amour qui déferlait au pied de la Vierge. Des voitures, des camions, des roulottes, des mobylettes, même des poids lourds, tout ce qui roule est utilisé pour transporter les pèlerins et leurs offrandes. Les véhicules richement décorés, souvent aux couleurs du Mexique, sont stationnés dans de nombreuses rues proches de la basilique jusqu’à ne laisser qu’un très fin passage pour la circulation totalement bloquée par endroits. Les autorités, policiers et militaires confondus, assurent un service d’ordre minimum… Car tous le savent, eux les premiers : l’acheminement de millions de fidèles ne peut se faire sans accepter une petite part de chaos.

 

DES MILLIONS DE FIDÈLES

Devant la basilique, des centaines de milliers de fidèles se croisent dans un ballet incessant d’allers et venues et, pourtant, ils prennent le temps de dire « bonsoir… s’il vous plaît… ». Il n’y a pas de bousculade ni de cris ; l’endroit est parfois même étonnamment silencieux. Puis des pétards éclatent, qui ne font sursauter que moi, des chants sont entonnés : « La Guadalupana, la guadalupana, la guadalupana bajó al Tepeyac… » En quelques jours, plusieurs millions de pèlerins franchissent les grilles qui entourent la basilique – entre six et douze millions selon les différentes estimations – vingt millions sur l’année, ce qui en fait le sanctuaire marial le plus visité au monde. « C’est le contraire de ce qui se passe au Vatican où il y a beaucoup de touristes, des Coréens, des Chinois qui prennent des photos, etc. Ici, la dévotion est immense et la grande majorité des visiteurs sont des pèlerins qui s’attendent à être consolés par la Mère. C’est unique dans le monde catholique », précise Arturo Rocha. En effet, à Guadalupe, le miracle semble moins important que le lien tissé, année après année, avec la Sainte Vierge. Croisée à la paroisse française de Mexico, Laure me confie : « La représentation de la Vierge transmet à tous la douceur maternelle et la certitude que Marie nous entend, nous rassure et nous montre aussi combien la vie d’un enfant est précieuse. » Sa fille Alix « trouve que ce miracle, resté visible grâce à l’image imprimée sur le manteau, est très beau, car la Sainte Vierge montre ainsi qu’elle veille toujours sur nous ! »

Les groupes qui débarquent sur le parvis marchent vite, la tête haute, le visage sérieux, comme s’ils avaient une mission à accomplir. Ce sont les membres d’une même paroisse, reconnaissables à leurs tee-shirts identiques, les salariés d’une entreprise, des familles élargies, des groupes d’amis. Ils se dirigent directement vers l’entrée de la nouvelle basilique et attendent à une porte que la place à l’intérieur se libère, afin d’entrer visiter leur mère. Pour patienter, on chante, on se prend en photo, mais on reste concentré. Certains parcourent les derniers mètres à genoux dans un ultime acte d’abandon et de dévotion. Ils embrassent le sol, demandent pardon, supplient pour l’obtention de grâces. Gustavo Watson, vice-recteur de la basilique, explique ainsi : « Nous recevons des milliers de témoignages de situations très difficiles. Il y a beaucoup de personnes droguées ou alcooliques qui se battent contre leur addiction depuis des années. Elles n’arrivent pas à s’en sortir et, dans de nombreux cas, leur recours est de faire le serment à la Vierge de renoncer à l’alcool ou à la drogue. Ici, elles trouvent un soulagement, elles commencent un nouveau chemin… Il y a parfois un véritable changement ou un miracle que Dieu et la Vierge Marie permettent. »

 

POUR ÊTRE VU PAR SA MÈRE

Dans le bâtiment circulaire d’un diamètre de 100 mètres, quelque 10 000 personnes, en grande majorité des Mexicains, attendent le début de la messe célébrée toutes les heures. Dans les minutes qui précèdent, pas un bruit ne vient troubler le silence, pas un enfant ne pleure ; un esprit de communion est palpable, une attente qui fusionne avec celle de l’Avent. « Élevons notre coeur… Nous le tournons vers le Seigneur… » La messe prend fin, ce sont alors des centaines d’images de la Vierge plus ou moins impressionnantes et excentriques qui s’agitent dans un défilé ininterrompu. Des statues, parfois presque aussi lourdes que les porteurs, des images brodées sur des tee-shirts, des bougies, des fanions, des drapeaux, des cadres de toutes les formes, de toutes les tailles et de toutes les matières. Impossible de dire combien de représentations de Notre Dame de Guadalupe défilent sur les tapis roulants qui permettent d’admirer au sous-sol de la basilique l’image originale de l’apparition. « La vue, la vision, est très importante pour les Mexicains, car elle était très importante dans l’ancien Mexique. Les pèlerins viennent ici pour être vus par la Mère et pour que l’image qu’ils transportent avec eux reçoive le pouvoir de l’image originale présentée à la basilique », analyse Arturo Rocha, qui poursuit : « Benoît XVI a lui-même écrit : "Ainsi, lorsque vous êtes face à une mère qui vous regarde directement sans masque, nous parlons du même amour qui, dans l’ancien Mexique, s’appelait le mariage lui-même." C’est l’intensité même de cet amour qui compte ici. » Dans l’ancien Mexique, les dieux et les déesses du panthéon étaient masqués, le masque représentant un attribut théologique et cosmologique de la divinité. À l’époque, tout le monde comprend alors que la personne présentée sur l’image n’est pas une déesse, mais une mère de miséricorde.

 

DES TRÉSORS CACHÉS

Il y a à Guadalupe les choses que tout le monde voit – les images, les bougies, les fleurs, « symboles de la beauté » –, et puis il y a ces petits détails qui échappent sans doute à qui ne prend pas le temps de s’asseoir quelques minutes. Lever les yeux et admirer cette magnifique peinture de la XIIIe station du chemin de croix, cachée derrière une colonne, ou cet ange doré juché au sommet d’un dôme en marbre dont le plafond intérieur est imprimé du Saint-Esprit... Le sanctuaire regorge de trésors, dont beaucoup sont exposés dans les deux musées situés aux abords de la basilique. Monse, une jeune trentenaire qui travaille au musée, me présente fièrement les centaines d’ex-voto fixés au mur, les médailles militaires, les disques et tous ces objets offerts à Notre Dame par des personnalités souvent très connues au Mexique ou même mondialement.

Il y a aussi tous ceux qui sont là, mais qu’on ne voit pas, qui échangent volontiers un sourire ou un « buenas tardes » quand ils y sont invités. Ce sont environ 500 personnes qui travaillent à la basilique dans l’ombre de la Vierge de Guadalupe, comme ce pianiste discret, presque caché, que personne ne remarque mais que tout le monde entend dans le Temple expiatoire du Christ Roi, nom donné à l’ancienne basilique érigée en 1709. Devenue trop petite pour accueillir les pèlerins, elle présentait des problèmes de fondations qui la rendent aujourd’hui légèrement penchée.

 

UN PEU D’INTIMITÉ, BEAUCOUP DE COMMUNION

Ce bâtiment plus exigu et plus ancien que l’actuelle basilique est aussi plus intimiste. Ici, la Sainte Vierge prend le temps de s’entretenir en tête à tête avec cet homme d’une cinquantaine d’années attendu un peu plus loin par sa famille, ou avec cette dame élégante qui lui parle vraiment, comme si elles étaient ensemble attablées autour d’un repas. Elles sont en réalité entourées d’autres fidèles qui, comme les premiers, veulent eux aussi discuter avec leur mère. « Les gens cherchent la miséricorde de Dieu et les files d’attente pour la confession sont interminables. Beaucoup viennent ici en quête de consolation. Ils viennent aussi demander la guérison, car ils savent que Marie a guéri l’oncle de Juan Diego », expose Mgr Watson. Pendant plusieurs minutes, sans que personne ne vienne les déranger, ces pèlerins déposent ainsi au pied de la patronne du Mexique (1895) et de toutes les Amériques (1946) leurs peines et leurs espoirs.

Aujourd’hui, l’influence de Notre Dame de Guadalupe dépasse largement les frontières du Mexique et grandit particulièrement aux États-Unis et au Canada en raison de l’immigration. Ai-je croisé six ou douze millions de fidèles durant ces quelques jours de décembre ? Il me semble que ce qui compte davantage qu’un nombre est la foi immense, l’espérance et la communion partagées depuis près de 500 ans par tout un peuple. J’ai vu des visages fatigués, des jambes lourdes, des pieds abîmés, des larmes de douleur mais aussi de joie, des bébés endormis dans les bras d’un adulte ou des enfants aux joues rouges qu’on traîne un peu vite en oubliant leurs petites jambes ; beaucoup de jeunes aussi, porteurs d’espoir, comme ce groupe de six garçons arrivés après trois jours et deux nuits de marche, heureux, mais épuisés de ce long périple réalisé en l’honneur de la Vierge. Le temps d’une photo, ils sourient puis ils repartiront dans quelques jours comme ils sont arrivés, en attendant le pèlerinage de l’an prochain.

Maintenant que je connais bien la Vierge de Guadalupe, elle m’accompagne. Dans l’avion du retour, ce couple de Français est heureux de comprendre pourquoi, dans les campagnes mexicaines qu’ils ont visitées, de nombreux véhicules distribuaient des bonbons aux enfants, à la manière du Tour de France. Et même lors de la messe de minuit, dans cette petite commune de 700 habitants au fin fond de la Creuse, Notre Dame de Guadalupe est là. Elle trône au milieu de l’église et c’est une nouvelle fois en levant les yeux vers le Ciel que j’ai pu l’admirer, la saluer, la remercier. Amen !

Reportage de Marie-Ève Bourgois

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