Pakistan : une nouvelle Asia Bibi
La photo montre une femme d’une quarantaine d’années qui regarde distraitement en direction de l’appareil. Bien que l’image ne soit pas de bonne qualité, elle a envahi les sites d’actualité chrétienne, car il s’agit de Shagufta Kiran, une mère de famille chrétienne condamnée à mort pour « blasphème » le 18 septembre 2024. Son histoire rappelle trait pour trait la tragédie vécue par Asia Bibi de 2009 à 2019.
On se souvient que cette dernière avait passé neuf ans dans les geôles pakistanaises, tandis que dans les rues de son pays, de vastes manifestations réclamait sa mise à mort pour avoir « blasphémé le prophète Mohammed ». Grâce à l’émotion internationale suscitée par son cas, elle avait été en fin de compte graciée, puis extradée. Anne Isabelle Tollet, journaliste et auteur de la biographie Asia Bibi Enfin libre ! nourrissait cet espoir : « Ce cas peut faire jurisprudence. La justice pakistanaise a reconnu qu’Asia Bibi était innocente. Les auteurs de fausses accusations pourraient à présent être à leur tour poursuivis. » Mais quatre ans après l’heureux dénouement de l’affaire Asia Bibi, le problème des lois anti-blasphème demeure entier, comme le démontre la nouvelle affaire Shagufta Kiran.
En fait, si l’on en croit la Pakistan's National Commission for Human Rights (NCHR), la situation s’est même détériorée. La Commission calcule que dans la seule province du Penjab, 594 personnes sont détenues pour « blasphème » : un record ! En plus de personnes comme Asia Bibi et Shagufta Kiran, de nouveaux profils de pseudo-blasphémateurs apparaissent.
La plupart des nouveaux cas concernent des jeunes hommes piégés par des hackeurs anonymes sur Internet. Ils les attirent en les encourageant à commettre des déclarations susceptibles de tomber sous le coup de la loi. Puis ils les font chanter ou les dénoncent aux autorités. Les cas sont ensuite enregistrés auprès de l’Agence fédérale d’investigation sur le cybercrime qui travaille en relation avec une « entité privée », qui n’est pas identifiée. La NCHR dénonce l’opacité des investigations, ainsi que l’existence d’un véritable « gang du blasphème », qui utilise à ses fins la rigidité de la loi pakistanaise.
Monseigneur Samson Shukardin d’Hyderabad, président de la Conférence des évêques du Pakistan, avertit : « De jeunes et innocents internautes sont piégés, et cela inquiète aussi bien les chrétiens que les musulmans. Certains parlent même de conversions forcées. » L’évêque déplore que le gouvernement ne se saisisse pas de ce sujet et ne se préoccupe que de questions politiques et financières. Il rappelle que les personnes qui tombent sous la coupe de ces gangs subissent diverses formes de tortures psychologiques et d’extorsions de fonds.
Muhammad Asim Makhdoom, président du conseil des Oulémas Kul Masalik Ulema, joint sa voix à celle de Mgr Shukardin. Il constate que des fonctionnaires continuent d’enregistrer toutes les plaintes pour « blasphème », même les moins fondées. Il accuse sans détour : « Beaucoup de cas de blasphèmes sont fabriqués. Ils enflamment la colère du public et donnent une image déplorable du pays. Il est de la responsabilité de l’État de faire cesser ce mésusage de la loi. »
Ni l’ouléma, ni l’évêque ne réclament explicitement la disparition des lois anti-blasphème. Une telle prise de position déclencherait des conséquences incalculables dans un pays soumis à l’extrémisme islamique. La question mériterait pourtant d’être posée dans la mesure où l’existence même de cette législation provoque régulièrement des tragédies. Des foules en colères déferlent sur les pseudos blasphémateurs et appliquent eux même la sentence de mort prévue par la loi. La NCHR constate qu’au moins 89 personnes ont été exécutées de la sorte, en dehors de toute légalité. Quatre d’entre elles ont été lynchées durant la première moitié de l’année 2024.
(Sources : Ucanews 04/11/2024 et Aide à l’Église en Détresse 23/9/2024)
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